• Noel de l'autre côté du miroir, 12 décembre:

    12 décembre :
     
    La semaine passa en un clin d'œil.
    Belphégor aimait la période de Noël, surtout l'effervescence qui précédait l'approche des vacances car avec lui préparer le réveillon devenait un véritable art de vivre. Il prenait un plaisir tout particulier à inventer des nœuds originaux, réaliser des assortiments de boules et de guirlandes colorées.
    Le soir arrivé rien ne manquait à l'appel que ce soit le sapin, la peluche ou la crèche : le jeune lutin savait recevoir.
    Cette année il est moins enthousiaste qu'à l'ordinaire. Le sourire y est mais les gestes sont mécaniques, sans entrain.
    Lorsqu'elle vit son expression morose au petit déjeuner le lundi suivant, sa mère s'en inquiéta, la reprise d'activité de l'usine lui redonnait le sourire les années précédentes.
    Tenté de se confier à elle, Belphégor se ravisa néanmoins car sa mère avait déjà suffisamment de soucis à résoudre en ce moment.
    C'est ainsi que son fils arriva au travail d'une humeur exécrable en découvrant qu'il avait été muté au poste de secrétaire.
    Sa nouvelle mission était simple : réceptionner et trier les lettres de vœux envoyées à M. Noël afin d'établir le planning des employés de l’usine.
    Ce travail était presque aussi épuisant que le précédent car il exigeait une attention de tous les instants pour que tout soit livré à temps dans la nuit du 24 au 25 décembre.
    Cette année encore, les listes n'étaient pas très originales : toutes demandaient des tablettes tactiles, des lecteurs MP3, des poupées Barbie, des Action man.
    Alors que Belphégor cochait une fois de plus les cases correspondantes sur sa fiche de gestion, une lettre toute particulière attira son attention.
    Son auteure, une fillette de 10 ans peut-être l'avait seulement signée de son prénom, Ginette comme si elle n'avait plus de famille :
     
    Cher Monsieur Noël,
    Promis juré j'ai été sage cette année.
    Maman n'a toujours pas de travail et la famille ne s’en sort toujours pas. Papa est parti très loin et n'est toujours pas revenu et moi je ne sais plus comment faire pour consoler maman.
    Elle n'arrive pas à faire son deuil de mon petit frère donc si tu pouvais faire en sorte de le retrouver ce serait génial.
    Cela fera déjà cinq ans dans une semaine qu’il a disparu. Toute la famille s'est faite à l'idée qu'il puisse être mort mais moi j'ai toujours continué à espérer car au fond de moi je sais qu'il est toujours vivant, quelque part.
    Tu resteras dans mon cœur le meilleur des papas si tu réussis à exaucer mon souhait.
    À bientôt auprès du sapin.
     
    Ginette.
     
    Belphégor ne savait plus s’il tremblait seulement de froid, ou d’émotion.
    Il posa son stylo et marcha jusqu'à l'atelier montrer le courrier tacheté de larmes au contremaître qui haussa les épaules :
    - Elle renvoie la même lettre tous les ans depuis cinq ans, j’en fus ému un temps mais maintenant je n’y prête plus attention car les lutins ne peuvent pas faire de miracles.
    - Croyez-vous qu'elle aie besoin de réconfort ? Je pourrais descendre dans le monde des humains…
    - N’y pense pas Belphégor, car les lutins ne doivent pas apparaître aux yeux des humains sinon la magie de Noël pourrait être brisée.
    Seuls des individus tels que ton père qui ont autrefois été humains peuvent y parvenir car ils passent inaperçus en reprenant leur apparence humaine antérieure.
    - Trouvez-moi un costume de père Noël et le tour est joué. Je tiens vraiment à tenter le coup, s'il vous plaît !
    - Non car cela engage ma responsabilité s'il t’arrivait quelque chose. Retourne travailler, je trouverai une solution pour que tu puisses l’aider si tu y tiens vraiment.
    Au moment opportun, Belphégor aperçut son père entrer dans l'usine son costume de père Noël sous le bras. Il salua son fils d'un sourire avant de déposer une pile de factures à trier sur le bureau.
    - En voilà une surprise : alors c'est toi qui t’occupes de la paperasse maintenant, fiston ?
    - Oui père.
    - Eh bien, tu n'es pas content de me voir ?
    - Si bien sûr mais j'ai des soucis en ce moment. Je me posais des questions à propos d'une fillette qui me semble endurer beaucoup trop de souffrance pour son âge. Si jeune et déjà tellement éprouvée par la vie
    - Tu veux parler de Ginette ? Je l’ai déjà rencontrée, il est vrai qu'elle ressemble à une fillette aux yeux d’adulte. Elle paraît excessivement mature pour son âge.
    - Pourquoi sa famille a-t-elle ainsi éclaté ?
    - Il y a cinq ans ils ont été les malheureux protagonistes d'un fait divers. Toute la famille était partie au centre commercial peaufiner les dernières courses de Noël et son petit frère a disparu. Comme ça, d'un seul coup, sans le moindre indice si bien que la police a rapidement classé l'affaire.
    Cependant, cette tragédie a bouleversé la famille à ce qu'il paraît. La mère est enfermée dans une dépression nerveuse, le père a demandé le divorce et la petite ne sait plus où donner de la tête.
    Il a fallu qu’elle se responsabilise extrêmement jeune et c'est encore elle qui s'en sort le mieux, pour le moment.
    - Emmanuel ! T'es passeur ou manutentionniste ?
    Le père de Belphégor se retourna vers l'un de ses collègues chargé d'une pile de livres jeunesse qui lui désigna du menton son traîneau vide.
    Vide ? Pelotonnée dans une parka fourrée une fillette dormait profondément.
    - Ginette ? Qu'est-ce que tu fais là ? S'exclama Emmanuel, stupéfait.
    La petite ouvrit les yeux. De grands yeux noisettes, enfantins mais témoins d'un grand trouble intérieur.
    - Désolée de vous surprendre M. Emmanuel, je veux retrouver quelqu'un à tout prix.
    - Ce n'est pas grave mais il est illégal de rentrer dans le monde de Noël clandestinement...
    - S'il vous plaît, aidez-moi à retrouver Sylvain alors!
    - Ton petit frère ? Sois raisonnable, il ne doit plus être de ce monde...
    - Ne dites pas ça ! s'écria-t-elle en éclatant en sanglots.
    Emmanuel la prit dans ses bras pour la consoler :
    - On va tous t'aider à le retrouver... Belphégor où  vas-tu ? Mets ton manteau, tu vas prendre froid.
    - J'ai chaud, sans doute de la fièvre ça va passer.
    - Laisse moi vérifier. Déboutonne ta blouse
    Étonné Belphégor s'exécuta cependant.
    Son père ferma les yeux et posa une main contre sa poitrine.
    La sensation physique d'un tremblement de terre intérieur fut telle que Belphégor crut imploser. Des images réminescentes apparaissaient et disparaissaient derrière ses paupières.
    Puis la tempête se calma, la main de son père se retira.
    Lorsque Belphégor retrouva ses esprits, il distingua au creux de la paume un sceau en forme de nœud de Moebius chatoyant.
    - Qu'est-ce qui m'est arrivé ?
    Sa voix n'était plus la même. Lui également ne devait plus être le même. Sa blouse était devenue beaucoup trop grande, il y flottait presque.
    - Travailler dans l’import-export n'est qu'un prétexte : ma mission principale est de veiller à la cohabitation harmonieuse entre le monde de Noël et le monde des humains.
    Lorsqu'on t'a trouvé, frigorifié dans la poudreuse il y a des années, ma femme a eu le cœur de te recueillir et de te considérer comme son propre fils dès lors que tu es devenu un lutin.
    Mais l'artifice a ses limites, car arrêté à temps, il est encore réversible.
    Dans le cas contraire tu serais probablement resté enfermé à la vie dans le rêve que se fait un enfant du monde de Noël.
    Cherche dans ton cœur ce qui te relie au monde des humains et tu verras que le monde de Noël n'était qu'un beau rêve magique et envoûtant.
    Belphégor ferma les yeux, appela à la surface de sa conscience les souvenirs qu'il avait précédemment entrevus pour essayer de comprendre mais rien n'y fit :
    - je ne vois absolument pas de quoi il s'agit.
    - Quel est le cadeau le plus précieux qu'un homme puisse à la fois offrir et recevoir ?
    - L'amour ?
    Emmanuel acquiesça :
    - On ne peut vivre sans amour car c'est d'un tel sentiment partagé que toute personne peut naître.
    L'amour d'une mère, d'un père, d'un frère, d'une sœur, d'un ami ou d'une amie voilà ce qui construit et structure l'existence de tout un chacun.
    Tu as eu chaud non pas à cause de la fièvre mais parce que la compassion et l'affection que tu éprouves à l'égard de Ginette ont commencé à délivrer ton cœur.
    - Dans ce cas, qui suis-je si je ne suis pas Belphégor ?
    - À toi de trouver la réponse... Tiens, où est Ginette ?
     
    Belphégor cogita tout l'après-midi, le soir venu il rentra bredouille et fut surpris de découvrir sa mère, son père et Ginette déjà attablés.
    - Cette année, nous fêtons le réveillon en avance pour en faire profiter Ginette, mon fils, annonça sa mère. Tu fais une drôle de tête Belphégor, qu'est-ce qui ne va pas ?
    - Si je ne suis plus un lutin mais pas encore un humain accompli, alors qui suis-je ? Ou devrais-je dire : que suis-je ?
    Sa maman se leva pour le prendre dans ses bras afin de le consoler :
    - Ne t’en fais pas mon ange, pour nous tu seras toujours notre fils.
    Le chemin qu'il te reste à parcourir sera probablement difficile mais si la vie devient trop insupportable, reviens nous voir, on sera toujours là pour t’épauler.
    - Chérie, es-tu au courant de quelque chose ?
    - L'instinct maternel ne m'a jamais trompée Manu.
    Je n'ai pas mis longtemps pour comprendre qui il était, frigorifié et désorienté dans la poudreuse.
    Seulement je n'allais pas le laisser mourir de froid et c'est pourquoi je t’ai convaincu de le transformer en lutin le temps de trouver un moyen de le renvoyer chez lui, auprès de sa famille.

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