Naturellement la maison de vacances des Gekko se situait juste à côté de la base nautique face à la plage, bien située mais pas imposante. Coloré l’intérieur était chaleureux et accueillant. Samantha se laissa guider par Riotaka qui se fit un plaisir de lui faire visiter les lieux et la mit à l’aise en pimentant son tour du propriétaire d’anecdotes insolites.
Il la précéda à l’étage et passa délibérément devant une porte fermée à clé sans s’arrêter.
- Fais comme chez toi je vais chercher des boissons, dit-il en l’invitant à entrer dans sa chambre.
Samantha attendit qu’il se soit éclipsé pour aller examiner de plus près la pièce mystérieuse qu’il s’était refusé à lui faire visiter. Elle ne pouvait pas l’expliquer mais elle avait un besoin impérieux de savoir ce qui se dissimulait derrière cette porte close. Elle déglutit avec angoisse, jeta un regard circulaire autour d’elle pour s’assurer que la voie était libre puis tourna la poignée. La porte n’était pas verrouillée et s’ouvrit dans un grincement.
Une odeur de renfermé la prit à la gorge et elle eut un mouvement de recul au premier abord. Elle parvint néanmoins à prendre sur elle et entra.
Visiblement cela faisait des années que personne n’était venu ici. Une épaisse couche de poussière couvrait la moquette jadis rouge corail. Le temps et l’espace étaient figés dans cette chambre d’enfant d’un autre temps : des jouets et des poupées traînaient ça et là comme si quelqu’un était parti précipitamment sans avoir eu le temps de les ranger. Un placard était ouvert aux quatre vents dans lequel reposaient des vêtements hétéroclites ayant appartenu à une fillette. Samantha réalisa qu’elle se trouvait dans la chambre de Natsuhiko. Un frisson glacé lui parcourut l’échine lorsqu’elle aperçut sur le mur un dessin réalisé par la disparue montrant un catamaran sur lequel elle naviguait entourée de Riotaka et d’Inoichi. Elle avait intitulé son œuvre «Les copains d’abord». Les yeux de Samantha s’embuèrent de larmes lorsqu’elle vit un œil d’Athena agrafé au dessin. Debout au centre de la pièce elle laissa libre cours à ses émotions : les larmes qu’elle s’efforçait de retenir ruisselèrent le long de ses joues. De très loin une voix l’appela :
- Samantha ! Samantha ouvre moi !
Riotaka.
- N’entre pas.
- …
Pourtant Riotaka poussa doucement le battant et entra sur la pointe des pieds. Il écarquilla les yeux de stupéfaction lorsqu’il distingua dans la pénombre du crépuscule le visage ruisselant de larmes de Samantha debout au milieu de la pièce les yeux mis-clos. Il la prit par le bras :
- Viens.
- Désolée …
Il ne répondit pas et ne lui décocha pas un regard jusqu’à ce qu’ils soient revenus dans sa chambre. Il la fit asseoir à côté de lui sur son lit et leur servit à chacun un verre de thé glacé.
- Tu n’aurais pas du entrer dans cette chambre. Ni moi ni quiconque chez les Gekko ne l’avons plus jamais ouverte car elle renferme les vestiges d’un passé douloureux qui nous hante encore maintenant et qui est difficile à oublier.
- Je suis sûre que ta sœur serait plus heureuse si vous cessiez de refouler cette souffrance pour l’affronter en face et continuer à vivre.
- Ne parle pas de ce que tu ne connais pas ! Tu ne peux pas imaginer à quel point sa mort m’a traumatisé. Je ne peux pas me réfugier dans l’oubli et continuer à aller de l’avant comme si de rien n’était ! Qu’est ce que tu fais ?
Samantha pianotait sur son Iphone en l’écoutant parler :
- Il faut que j’appelle quelqu’un. Je reviens.
Elle sortit sur la terrasse attenante en composant le numéro de Catherine Duval. Elle fit les cent pas en écoutant les sonneries s’égrener. Elle tomba sur la messagerie et raccrocha. Sa mère adoptive était souvent invitée aux dîners mondains à la dernière minute. Elle rangea son téléphone et revint dans la chambre. Riotaka lui tournait le dos et mettait un peu d’ordre pour lui permettre de s’installer pour la nuit
- Si j’ai fait ou dit quelque chose de mal je te demande pardon.
- Non ce n’est pas exactement cela. Tu ne dois pas t’impliquer dans nos histoires de famille.
Samantha soupira en le regardant s’affairer. Il avait raison.
Après s’être douchés et préparés pour la nuit ils descendirent dîner. Samia avait cuisiné de la paella le plat préféré de Riotaka. La douce odeur du riz parfumé mélangée aux effluves d’épices orientaux les guida vers la salle à manger où Samia, Shinji et Genma les attendaient déjà. Riotaka se servit une portion généreuse en s’asseyant mais Samantha resta debout :
- Ma décision est prise. Je vous demande l’hospitalité pour la nuit mais je pars demain matin.
- Tu n’as nulle part où aller, observa Genma.
- Je vais retourner chez ma mère adoptive. C’est sûrement mieux ainsi.
En prononçant ces mots elle réalisa qu’ils sonnaient faux.
Elle s’était attachée aux Gekko qui formaient une famille unie et inébranlable.
Elle complimenta Samia pour l’excellence de sa paella et écouta Riotaka raconter le récit de leurs aventures à son père.
Le repas se déroula dans l’insouciance et la bonne humeur jusqu’à ce que quelqu’un sonne à la porte d’entrée. Samia alla ouvrir et découvrit Josette debout dans le chambranle. Les poings sur les hanches la vieille femme de ménage essuya la sueur qui perlait sur son front en réajustant les mèches rebelles qui pointaient hors de son fichu :
- Bon Dieu ça fait un bail madame Gekko !
Samia l’invita à les rejoindre pour le café la précédant dans la salle à manger. Riotaka dévisagea cette femme étrange et échevelée avec suspicion :
- Je suis Josette. Il y a des années de cela j’ai été la nourrice de ta grande sœur quand tu étais encore dans les choux, se présenta l’intéressée.
- En … Enchanté, balbutia Riotaka.
Josette aperçut Samantha assise auprès de Genma et croisa les bras:
- Kidnapping, adoption illégale, faux et usage de faux, dissimulation de preuves et j’en passe… Madame Catherine n’a qu’à bien se tenir ça va barder dans les chaumières et les manchettes de journaux à scandale !
- Hein ? fit Samantha médusée.
- De quoi parlez vous Josette ? s’enquit Genma intriguée.
- Ce sont les quatre chefs d’accusation pour lesquels Madame Catherine mériterait de passer devant le tribunal si seulement il n’y avait pas prescription !
Shinji se leva et posa une main amicale sur l’épaule de Josette :
- Vous avez trop bu je vais vous raccompagner Josette.
- Je vais très bien merci. Je ne bois jamais d’alcool en dehors des grandes occasions, protesta celle-ci.
- Je vous demande poliment de sortir de cette maison. Revenez quand vous aurez les idées plus lucides.
- Je vous garantis que vous allez regretter de ne pas accorder crédit à ce que je dis. Je ne vous parle pas en tant qu’employée mais en tant que femme d’expérience. Je suis également mère de famille et j’ai tout de suite compris que les beaux discours sur la maternité de Madame Catherine c’était que du pipeau. Y’a pas eu une once d’instinct maternel dans son désir d’adopter Mademoiselle Samantha. Elle l’a fait par orgueil pour se venger de son ex mari qui l’a abandonnée dès que leur divorce a été prononcé.
- Vous racontez n’importe quoi, profitez d’une bonne nuit de sommeil pour vous reposer !
- Et ça c’est n’importe quoi ? rétorqua Josette en agitant à bout de bras un porte carte en cuir défraîchi.
- Sortez d’ici, c’est une affaire entre vous et elle !
Samia était du même avis jusqu’au moment où elle reconnut le porte-carte qu’elle avait offert à Natsuhiko pour son septième anniversaire.