• Chapitre 3

    Samantha et Genma traversèrent l'Atlantique en moins d'une semaine d'abord à cause de leurs maigres provisions, ensuite xcar elles naviguaient à vive allure ne s'accordant que quelques siestes courtes toutes les trois ou quatre heures à tour de rôle. Elles manquèrent de dessaler à plusieurs reprises mais grâce à l'eexpérience de Genma elles en ressortirent à chaque fois indemnes. La proximité créée par leur cohabitation les aida à mieux se connaître: pour tromper le temps elles discutèrent de tout et de rien à propos du passé et de l'avenir puis de leurs vies respectives puis elles se plurent à imaginer à quoi pouvait bien ressembler Utopia.
    Au bout d'une semaine alors qu'elle prenait la barre Samantha aperçut de loin un amas de vagues qui tourbillonnaient bizarrement, entraînées par un courant encore plus puissant qu'un tsunami. Elle réveilla sa compagne instantanément:
    - Genma, réveillez vous! Le triangle des Bermudes ne devrait plus être loin...
    - Hein? Quoi? marmonna la vieille dame encore ensommeillée.
    -Bermudes en vue!
    - Déjà?! Non c'est impossible!
    Elle plissa les yeux, éblouie par les premières lueurs de l'aube et vit avec effroi les courants tourbillonnants mus par le vent attirer inexorablement le catamaran vers l'épicentre du typhon. Elle cria pour couvrir le bruit des rouleaux:
    - Je vais descendre en trapèze afin de rééquilibrer le bateau! Contente toi de réduire l'allure mais sans toucher à la grand-voile sinon on vire de bord au moindre faux-pas! Quand je te ferais signe, saute pour ne pas être piégée  par les cordages lorsque l'attraction aura pris le dessus sur mes vieux muscles! Adieu, nous nous reverrons peut-être au paradis!
    Lorsque Genma descendit en trapèze Samantha réalisa que c'était probablement la dernière fois qu'elles se parlaient. Seulement elle n'avait pas le choix: survivre impliquait désormais de se laisser emporter corps et biens vers les profondeurs. Lorsque le "Carpe Diem" atteignit les abords tumultueux de l'épicentre des Bermudes, Genma leva le pouce. La peur au ventre Samantha eut à peine le temps de décrocher son bidon étanche de la drisse et sauta sans réfléchir. Elle fut aussitôt happée par les bas-fonds sous-marins assommée par le catamaran qui se retourna soudain à cent quatre vingt degrés. Des milliers d'étoiles dansèrent devant ses yeux et elle perdit connaissance. Chute sans fin. Froid mordant. Noir total.
     
    Une onde de chaleur douce passa sur son visage. Ses narines inhalèrent une délicieuse odeur de cannelle. Une mélopée harmonieuse sublimée par des accords mélancoliques à la harpe charma ses oreilles.
    Samantha cligna des yeux, étourdie par sa chute abyssale. Elle recouvra lentement ses esprits et ses sensations allongée sur un large lit en forme de coquillage fait d'éponge et d'algue, une texture ferme, moelleuse et polymorphe à la fois. Elle se tâta de la tête aux pieds et constata sans surprise qu'elle était couverte de bandages. Jetant un regard circulaire sur la pièce ovoïde en forme d'océarium où elle venait de se réveiller elle entrevit Genma la veillant avec attention, assise dans un fauteuil-coquille fait de corail rouge vermeil:
    - Enfin te voilà réveillée! Au bout de deux jours je commençais à m'inquiéter...
    - QUOI? J'ai dormi... deux jours de suite?!?
    - Tout à fait. A ce propos nous demeurons depuis lors aux abords d'Utopia dans ce qu'ils appellent des F3C: ce sont des centres d'accueil pour les réfugiés en attente d'un titre de séjour. Nous sommes logés ici provisoirement tous frais payés le temps de recevoir des cartes d'identité utilisant la technologie du morphing qui nous permettront de circuler librement dans la ville intra muros.
    - Heureusement le confort est au rendez-vous comparé à un Formule 1, soupira Samantha en s'appuyant sur un coude pour se lever.
    - Reste au lit pour l'instant, tes blessures sont loin d'être guéries. Tu auras besoin de repos pour récupérer suffisamment.
    - Je me sens très bien et je ne vais pas rester alitée alors que je suis très curieuse de voir à quoi ressemble Utopia.
    - A toi de voir, c'était un simple conseil.
    Samantha s'assit sur le bord du lit, les jambes dans le vide le temps de reprendre ses esprits. Tandis qu'elle s'habillait à la va-vite, elle grimaça lorsque son cou l'élança. En soulevant sa lourde chevelure auburn, elle fut étonnée de découvrir en se regardant dans un miroir face à elle une large cicatrice courant le long de sa nuque qu'elle n'avait jamais remarquée auparavant et dont elle ignorait l'origine.
     
    " - Bienvenue à Utopia la cité où tous vos rêves se réalisent! Jeunes, vieux, riches, pauvres Utopia vous accueillera à bras ouverts: vous y profiterez d'une qualité de vie incomparable et vous deviendrez enfin acteur de votre vie et du monde qui vous entoure!"
     
    Le mot d'accueil clignota encore quelques instants sur l'écran géant puis fut remplacé par le flux RSS de l'actualité de la journée, relayée par les réseaux Web du monde entier.
    Soudain Samantha sursauta en voyant une photo d'elle s'afficher en gros plan surmontée du logo d'Interpol:
    - Pourquoi vous ne m'avez pas prévenue que Mère avait lancé un avis de recherche aux familles?
    - Concrètement nous nous trouvons six pieds sous la mer donc il est inutile de s'en inquiéter du moins dans l'état actuel des choses. Par ailleurs il me semble utile de te rappeler que tu n'as jamais porté Catherine Duval dans ton coeur.
    - Elle a un caractère insupportable avec ses airs maniérés et ses principes éducatifs stricts mais... je lui dois la vie quand même!
    - Ne sois pas naïve, même si elle l'a fait par pur instinct maternel tu ne m'enlèveras pas de l'idée qu'elle manigance quelque chose même si je ne saurais déterminer quoi exactement.
    Sur ce Genma guida sa protégée vers un baraquement surmonté d'une pancarte "Nouveaux arrivants" accolé aux portes de la ville:
    - Essayons de ne pas nous faire remarquer alors qu’on vient à peine d’arriver. Je devrais t'enregistrer comme étant ma petite-fille, non? C'est ce qui me paraît le plus crédible mais si cela te dérange je te laisserais décider.
    - Vous voudriez que je prenne la place d'une disparue? Ca me fait froid dans le dos, répliqua Samantha.
    Secrètement elle l'avait toujours désiré de toutes ses forces mais pas maintenant et pas dans ces conditions.
    " Physiquement tu as vieilli mais tu restes au fond de toi la petite-fille rayonnante que tu étais à sept ans" sourit Genma intérieurement mais elle s'abstint de faire part de ses doutes à Samantha. Celle-ci n'était pas encore prête à écouter ce qu'une vieille dame de 80 ans avait à lui raconter sur la vie...
    - C'est pour aujourd'hui ou pour demain? Il commence à se former une telle file d'attente que je vous demande poliment d'aller régler vos comptes ailleurs et de me laisser faire mon travail, s'il vous plaît.
    - On ne se dispute pas, on s'explique! Rétorquèrent en choeur les deux intéressées.
    - Admettons... Vos noms et prénoms?
    - Je m'appelle Genma Gekko et voici mon employée, Samantha Duval.
    La guichetière tiqua, le sourcil levé:
    - Mademoiselle ne seriez-vous pas la fille de l'avis de recherche? S’enquit-elle à l'adresse de Samantha.
    Prise de panique, celle-ci se frotta nerveusement les cheveux:
    - En effet c'est moi. Vous n’allez pas me dénoncer à Interpol, n'est ce pas?
    - Nous avons seulement accès aux dossiers en cours et si je tape "Samantha Duval" je suis sûre que vous correspondez au signalement fourni. En fait le truc qui me dérange en consultant les archives d'Interpol à ton sujet est que tu fais l'objet d'une demande de papiers d'identité toujours en cours mais qui date d'au moins dix ans. Malgré tout je dois me résigner à te rapatrier chez toi et ne pas feindre comme si de rien n'était. Réponds tu au signalement décrit dans la déposition?
    - Oui, avoua Samantha vaincue.
    - Si tu avais été majeure tout aurait été bien différent, on aurait trouvé un arrangement quelconque à l'amiable. Mais tu n'as que dix-sept ans.
    - J'ai bouillonné d'impatience dans l'attente du jour où je pourrais enfin voler de mes propres ailes et voyager à travers le monde entier. Désormais je ne peux plus reculer.
    - Ele a été adoptée, se permit d'intervenir Genma. Elle a une adolescence très difficile compte tenu du fait qu'elle aie évolué successivement dans deux milileux sociaux totalement antagonistes.
    - Je comprends tout à fait madame mais Samantha Duval n'a aucune existence civile. Dans l'état civil son nom n'est mentionné nulle part et n'est relié à aucun document officiel.
    - Mère a quand même fait une demande qui a été acceptée puisqu'elle n'aurait quand même pas osé m'adopter illégalement? Par alleurs j'ai passé le bac sans encombres. Elle a toujours considéré que c'était à moi de faire les démarches nécessaires à ma majorité.
    - Je n'ai aucun moyen de le prouver mais je peux affirmer avec une quasi-certitude que cette identité qui est devenue la tienne est purement factice.
    Ce ne serait quand même pas si simple mais la demande de papiers toujours en suspens datant d'il y a dix ans se recoupe bizarrement avec une autre affaire de disparition encore et toujours non résolue en ce jour. Je veux parler d'une petite fille qui s'est miraculeusement tirée des griffes des Bermudes mais qui n'a pourtant pas été retrouvée depuis lors même après des recherches acharnées menées par sa famille. Elle s'appelait Natsuhiko, Natsuhiko Gekko et aurait dix sept ans comme toi si seulement elle était encore vivante!

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