• 6- Le sens de la vie

    Même en hiver la Bretagne est belle. Après une heure et demie de TGV cela fait du bien de se prélasser sur la plage emmitouflés dans un épais poncho XXL en grosse laine tricotée en savourant des chichis: loin de Paris je me sens redevenir moi-même.
    - Déjà dix neuf heures! s'exclama Dave rompant soudainement la douce torpeur dans laquelle nous rêvassions. Si on ne veut pas dormir à la belle étoile c'est maintenant ou jamais!
    - On a tout notre temps soupirais je les yeux mi-clos en croquant dans un chichi.
    Une vague vient se briser contre le rocher qui nous tient office de perchoir et je fronce les sourcils: la marée serait-elle déjà en train de monter?
    Prise d'un vif pressentiment je me retourne et constate, horrifiée, qu'elle nous a effectivement encerclé sans prévenir:
    - Qu'est ce qu'on fait? Hurlais je pour couvrir le bruit assourdissant des vagues.
    Pour toute réponse Dave se saisit de son sac et saute sur une pierre plate en contrebas:
    -De quoi as tu peur? S’enquit-il. Si on se dépêche on a encore tout juste le temps de passer.
    Avec un clin d'oeil complice il recula au bord du rocher pour rejoindre le suivant d'une enjambée:
    - Alors qu'est ce que tu attends? Interrogea-t-il un large sourire aux lèvres. Tu ne cours aucun risque.
    Je partis d'un rire nerveux
    - Je ne suis pourtant pas une poule mouillée crois moi. Mais quelque chose me dit que tu es en train de prendre inutilement des risques à force de narguer le danger.
    - Je n'ai jamais pensé cela de toi! S’insurgea-t-il en me gratifiant d'un clin d'oeil tendre.
    J'esquissai un sourire lorsque j'aperçus tout à coup l'écume d'une vague naissante s'agglomérer à l'orée de l'abri rocheux au coeur duquel Dave louvoyait:
    -ATTENTION!
    Trop tard. Alors que Dave atteignait le rocher central l'eau s'engouffra avec grand bruit dans la cavité rocheuse. Je vis Dave accélérer le pas puis se mettre à courir bien qu'en glissant de son épaule son sac lui faisait perdre de temps à autre l'équilibre. Le temps de me redresser pour fouiller le mien en quête de mon portable pour appeler les secouristes il avait disparu.
    Quand je regardai de nouveau en bas seule sa sacoche flottait encore à la surface. Hurlant son nom à perdre haleine j'étais assez penchée en avant pour perdre l'équilibre.
    Ma tête heurta violemment les parois de la minuscule crique.
    Je perdis connaissance.
     
    - Mademoiselle est ce que vous m'entendez?
    J'ouvris un oeil. La voie Lactée en vue panoramique. Un froid tiède. Des embruns glacés. Quelque chose de moelleux et de doux contre mon dos.
    Le paradis ou un lieu en tous points fortement ressemblant.
    - Serrez moi la main si vous respirez!
    Rassurante cette voix au moins prouve-t-elle que je ne suis finalement pas morte.
    Mes doigts se refermèrent d'eux-mêmes autour de ceux de mon sauveur et j'achevais d'ouvrir entièrement les yeux.
    Il me parut plutôt jeune, à peu près la vingtaine. Un beau brun ténébreux aux allures d'oisillon avec ses cheveux en pagaille. Le mec excessivement idéal en quelque sorte.
    - Vous a-t-on jamais dit que vous étiez magnifique à la lueur des étoiles?
    "C'est quoi ce délire? C'est pas le moment pour un plan drague improvisé" observai je en mon for intérieur, cependant je tentai de mesurer mes mots:
    - Oui, oui... au fait comment m'avez vous trouvée et ramenée ici? Quelle heure est-il?
    J'ai l'intuition que quelque chose de grave est arrivé mais qu'il ne veut pas ou n'ose pas m'en parler.
    Il confirma mes inquiétudes les unes après les autres au fur et à mesure de son explication:
    - En fait je pourrais être entendu comme témoin car j'ai vu tout ce qui s'est passé depuis que vous avez posé le pied sur le sable de cette plage. La direction a installé des caméras vidéo dans tous les recoins. J'allais vous aider à traverser la marée montante quand votre ami a tenté de descendre par ses propres moyens. Si je n'ai rien fait pour l'arrêter c'est que je savais déjà que la partie était perdue d'avance et que les espoirs devenaient de minute en minute toujours plus minces de le retrouver vivant. Je suis désolé.
    Mes forces m'abandonnèrent et je laissai libre cours à mes émotions, incapable de retenir les larmes qui se mirent à couler toutes seules
    De très loin nous parvint inopinément le bruit vrombissant d'un moteur de zodiaque. Avant que le jeune secouriste ait pu dégainer son talkie walkie l'embarcation atterrit en trombe sur le platin en soulevant une gerbe de sable.
    Mon protecteur m'aida à me relever et me soutint par les épaules pendant le court trajet jusqu'au bateau:
    - Je ne voudrais pas vous materner mais tout à l'heure vous vous êtes probablement démis quelque chose en tombant. Au fait appelez moi Steve.
    Mais je ne l'écoute plus choquée par qui je découvre blotti au fond du rafiot.
    Emmitouflé dans une couverture de survie Dave grelotte de fièvre la peau parsemée d'écorchures.
    Je n'ose pas pousser mon auscultation plus loin car il est de toute évidence dans un sale état.
    Malgré tout je rassemble mes dernières forces pour me traîner par dessus le bord du zodiaque pour m'allonger à côté de lui. Epuisée je pose mon oreille contre son abdomen pour écouter les battements de son coeur. A mon grand dam son pouls est particulièrement faible.
    Soudain quelque chose effleure mon dos.
    Sans doute les embruns.
    Ou une brise sableuse.
    Puis je prends conscience que ce sont les doigts de pianiste de mon bien aimé me cherchant à l'aveuglette.
    - Ne t'en fais pas je suis là chuchotais je d'un ton aussi apaisant que possible en posant délicatement sa main dans la mienne.
    Ses doigts s'abandonnèrent au creux de ma paume, aussi glacés que du marbre:
    - Je t'aime... marmonna-t-il le regard à demi comateux avant de sombrer dans l'inconscience.

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :