• 2- Névrose d'un sentimental

    Dave courut comme il ne l'avait jamais fait de sa vie et déboula telle une furie dans l'hôpital s'attirant maints regards courroucés voire scandalisés de plusieurs infirmières. Les ignorant superbement, il piqua un sprint jusqu'à la réception:
    - Est... ce que... la nuit dernière... vous avez... admis... une certaine...Emilie Rockwell? croassa- t- il essoufflé et haletant.
    La chargée d'accueil haussa un sourcil:
    - Répétez moi ça doucement, j'ai rien compris.
    - EST CE QU'HIER SOIR VOUS AVEZ ADMIS UNE CERTAINE EMILIE ROCKWELL? cria- t - il.
    -Voyons voir... Oui, en effet chambre 111. Mais faut que je vous prévienne. ici les chambres 110 à 120 sont les seules où ne sont pas autorisées les visites car ce sont des chambres stérilisées.
    Cela fit à Dave l'effet d'un coup dans l'estomac:
    - "Stérilisées"? Qu'est ce que vous entendez par là?
    - Les malades qui sont admis là-bas sont ceux dont l'état est le plus alarmant. Grosso modo, ceux dont les jours sont largement en danger
    - Je vois, fit le jeune homme dans un filet de voix les larmes aux yeux. Mais alors dans ce cas... comment va-t-elle? Est ce qu’il y aurait au moins un mince espoir qu’elle s’en sorte ?
    - Soyons honnêtes non, à moins d'un miracle. Or, malheureusement pour vous, en médecine les miracles n'existent pas. Néanmoins j'ai une proposition à vous faire; et si vous voulez qu'elle s'en sorte c'est la seule alternative possible. Trois jours. C'est le temps qu'il lui reste à vivre: d'ici là, retrouvez les malfrats qui lui ont apparemment injecté dans les veines une drogue de genre tout à fait inconnue qui se révèle toxique voire mortelle puisqu'elle peut déclencher son action à n'importe quel moment et tuer votre amie sur le coup. Et que ces monstres vous en donnent l'antidote qu'ils ont dû fabriquer au cas où cela serait nécessaire lors de sa conception. Autrement dit, ne restez pas planté là car vous n'avez pas une seconde à perdre. Allez du vent ! Regardez autour de vous pour constater que vous n'êtes pas le seul à attendre jeune homme.
    Dave acquiesça mollement, maussade, et s'éloigna à pas lents repartant par où il était venu.
     
    Le moral à zéro, Dave entra dans le premier café venu et se commanda un cappuccino qu'il sirotait, assis au bar, perdu dans ses réflexions lorsqu'une main s'abattit d'un seul coup sur son épaule: 
    - Salut mec j'en aurais mis du temps mais je t'ai retrouvé finalement! 
    Brusquement ramené à la réalité l'intéressé sursauta et se retourna d'un bloc: derrière lui se tenait un homme affublé d'une paire de Rayban rutilante et d'un blouson en cuir noir d'encre Gucci qu'il reconnut instantanément: 
    - Attends une minute Mike. Ca fait un bail que j'ai quitté la bande une bonne fois pour toutes en t'ayant bien prévenu que ma décision était irrévocable. La preuve en est que je suis largement passé à autre chose depuis je viens de commencer des études de médecine.
    - Comme tu voudras mais sache qu'il n'est pas aussi facile que tu sembles le croire de tirer un trait définitif sur son passé de dealer: cela exige de faire quelques concessions notamment d’admettre ses échecs. S'échiner à vouloir sauver quelqu’un qui est d’ores et déjà entre la vie et la mort est vraiment puéril, qui plus est une perte de temps inutile: tout le monde sait que faire une overdose ne laisse pratiquement aucune chance de survie à moins d'un miracle. 
    En tous cas ne compte pas sur nous pour t'aider à te tirer d'affaire si jamais les choses tournent mal parce que ce sont tes problèmes et tu ne pourras pas te plaindre de ne pas avoir au moins été prévenu. 
    - Espèce de... de lâche! Et si c'était l'unique moyen de la sauver ? Tu crois peut-être que je fais ça simplement par plaisir crétin ?!? 
    Mike voulut protester mais n'ayant pas terminé Dave reprit en reposant violemment sa tasse sur le comptoir et se levant à moitié: 
    - J'aime Ellie et toi et les autres le savez mieux que personne. Et c'est bien simple: si dans trois jours elle devait mourir à cause de moi qui n'aurais pas eu le courage de tout risquer pour sa survie je ne pourrais me le pardonner. C'est une promesse que l'on s'est faite au lycée après que je me sois fait brutalement agresser par des voyous qu'elle a réussi à tenir en respect afin de me protéger: nous nous sommes juré que si l'un venait à être dans le pétrin ou en danger de mort, l'autre aurait le devoir de lui venir en aide de quelque façon que ce soit et à n'importe quel prix. Et n'ayant jamais pu lui rendre la pareille après cet incident, je me vois obligé de saisir l'opportunité qui m'est offerte aujourd'hui de remplir ma part du contrat  et puis adviendra que pourra de toute façon. 
    - Bien, vu comme tu as l'air d'être déterminé, fais le mais avant sache une chose: tu cours à une perte certaine car Ellie ne va pas mourir à cause d'une nouvelle sorte de drogue qui lui a été injectée par intraveineuse comme te l'a expliqué la réceptionniste: en réalité les médecins se servent d'elle comme cobaye pour tester un tout nouveau type de médicament contre les effets de la radioactivité pratiquement jamais testé auparavant même sur des animaux et dont une surdose de certains de ses composants chimiques pourrait se révéler non seulement mortelle mais aussi dévastatrice.   
    -Ils vont m'entendre ces s... ! jura Dave.
    Il posa le montant de son addition à côté de sa tasse et s'apprêtait à sortir quand la porte du café s'ouvrit une nouvelle fois.
     
    Tout à coup le monde parut se dissoudre et Dave se sentit tomber à travers une sorte de clair-obscur chatoyant. En proie à une terreur confinant à la névrose il cria et se réveilla en sursaut, couvert de sueur. Encore ensommeillé il pressa la touche snooze de son radioréveil et étouffa un juron en constatant qu'il était seulement une heure du matin. Huit jours avaient passé. Et chaque nuit, de manière récurrente, toujours ce même cauchemar qui le laissait éveillé jusqu'au petit matin errant sans but tel un zombie.
    Il avait bien tenté d'en trouver une interprétation en se plongeant dans l'Introduction à la psychanalyse de Freud mais cela s'était rapidement soldé par un échec la psychologie étant science plus complexe qu'il se l'imaginait. Néanmoins il refusa de s'avouer vaincu et préféra se rabattre sur des revues de vulgarisation bien qu'elles étaient censées être accessibles au plus grand nombre, la plupart le laissaient endormi dans son fauteuil jusqu'à pas d'heure tant il les trouvait assommantes. Au fond de lui il savait que ce combat était vain. Il n'en était pas certain mais ne voulait pas non plus se faire d'illusions: à moins d'un miracle on ne peut survivre à une balle prise en pleine poitrine.
    D'autre part l'idée d'être probablement le seul responsable de la mort d'Emilie ne cessait de le tarauder. Las il se leva pour se servir un café  mais lorsqu'il saisit le bol rempli du liquide brun celui-ci se brisa tout à coup entre ses doigts. Il se souvint alors que cela annonçait un mauvais présage mais étant peu superstitieux n'y prêta pas vraiment attention.
    Il se contenta d'éponger les dégâts, se servit à la place une bière et requinqué attrapa la pile de journaux empilés au pied de son fauteuil, une lampe de lecture et la télécommande de sa chaîne hi-fi. Confortablement installé il se lança alors dans la lecture du dernier numéro de Psycho magazine et mit en fond un cd où il avait gravé pêle-mêle des symphonies de Mozart, Bach, Brahms et Beethoven. Il veillait pourtant à ne réveiller personne avec mais la plupart de ses voisins avaient maintes fois porté plainte pour tapage nocturne. Toutefois chacune des procédures avait tourné court: en effet la police avait estimé après être venue sur le terrain qu'il était relativement grotesque de se plaindre d'un mélomane qui écoutait en lisant du classique à un volume tout à fait correct.
    Pourtant Dave ne tarda pas à entendre des bruits de pas précipités dévaler la cage d'escalier et alla ouvrir, exaspéré:
    - Non mais ça ne finira jamais ce cirque? C'est moi qui vais aller porter plainte si ça continue.
    Sa voisine du dessus, une quinquagénaire depuis peu à la retraite, vitupéra:
    - Ca existe de nos jours les casques stéreo mon cher David. Soit vous vous en procurez un soit vous déménagez! Je ne vois pas d'autre solution... A propos pourquoi veillez vous à des heures pareilles?
    - Insomnies à répétition depuis une semaine.
    - Consultez un spécialiste alors. Ca ne peut plus durer. Bonsoir.
    - C'est ça... Allez vous faire foutre. C'est pas vous qui avez vu un proche mourir sous vos yeux.
    - Si j'avais su... Sincèrement désolée de vous avoir dérangé. Moi aussi j'ai perdu quelqu'un récemment. Ma petite-fille. Elle s'appelait Emilie. Néanmoins les médecins ne sont pas encore formels car elle ne serait encore qu'en état de mort clinique plongée dans un coma profond. Vous vous sentez mal David? Répondez!
    Elle le rattrapa de justesse et porta le jeune homme évanoui jusqu'au clic-clac qui traînait au fond du studio:
    - Répondez!

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