• Même en hiver la Bretagne est belle. Après une heure et demie de TGV cela fait du bien de se prélasser sur la plage emmitouflés dans un épais poncho XXL en grosse laine tricotée en savourant des chichis: loin de Paris je me sens redevenir moi-même.
    - Déjà dix neuf heures! s'exclama Dave rompant soudainement la douce torpeur dans laquelle nous rêvassions. Si on ne veut pas dormir à la belle étoile c'est maintenant ou jamais!
    - On a tout notre temps soupirais je les yeux mi-clos en croquant dans un chichi.
    Une vague vient se briser contre le rocher qui nous tient office de perchoir et je fronce les sourcils: la marée serait-elle déjà en train de monter?
    Prise d'un vif pressentiment je me retourne et constate, horrifiée, qu'elle nous a effectivement encerclé sans prévenir:
    - Qu'est ce qu'on fait? Hurlais je pour couvrir le bruit assourdissant des vagues.
    Pour toute réponse Dave se saisit de son sac et saute sur une pierre plate en contrebas:
    -De quoi as tu peur? S’enquit-il. Si on se dépêche on a encore tout juste le temps de passer.
    Avec un clin d'oeil complice il recula au bord du rocher pour rejoindre le suivant d'une enjambée:
    - Alors qu'est ce que tu attends? Interrogea-t-il un large sourire aux lèvres. Tu ne cours aucun risque.
    Je partis d'un rire nerveux
    - Je ne suis pourtant pas une poule mouillée crois moi. Mais quelque chose me dit que tu es en train de prendre inutilement des risques à force de narguer le danger.
    - Je n'ai jamais pensé cela de toi! S’insurgea-t-il en me gratifiant d'un clin d'oeil tendre.
    J'esquissai un sourire lorsque j'aperçus tout à coup l'écume d'une vague naissante s'agglomérer à l'orée de l'abri rocheux au coeur duquel Dave louvoyait:
    -ATTENTION!
    Trop tard. Alors que Dave atteignait le rocher central l'eau s'engouffra avec grand bruit dans la cavité rocheuse. Je vis Dave accélérer le pas puis se mettre à courir bien qu'en glissant de son épaule son sac lui faisait perdre de temps à autre l'équilibre. Le temps de me redresser pour fouiller le mien en quête de mon portable pour appeler les secouristes il avait disparu.
    Quand je regardai de nouveau en bas seule sa sacoche flottait encore à la surface. Hurlant son nom à perdre haleine j'étais assez penchée en avant pour perdre l'équilibre.
    Ma tête heurta violemment les parois de la minuscule crique.
    Je perdis connaissance.
     
    - Mademoiselle est ce que vous m'entendez?
    J'ouvris un oeil. La voie Lactée en vue panoramique. Un froid tiède. Des embruns glacés. Quelque chose de moelleux et de doux contre mon dos.
    Le paradis ou un lieu en tous points fortement ressemblant.
    - Serrez moi la main si vous respirez!
    Rassurante cette voix au moins prouve-t-elle que je ne suis finalement pas morte.
    Mes doigts se refermèrent d'eux-mêmes autour de ceux de mon sauveur et j'achevais d'ouvrir entièrement les yeux.
    Il me parut plutôt jeune, à peu près la vingtaine. Un beau brun ténébreux aux allures d'oisillon avec ses cheveux en pagaille. Le mec excessivement idéal en quelque sorte.
    - Vous a-t-on jamais dit que vous étiez magnifique à la lueur des étoiles?
    "C'est quoi ce délire? C'est pas le moment pour un plan drague improvisé" observai je en mon for intérieur, cependant je tentai de mesurer mes mots:
    - Oui, oui... au fait comment m'avez vous trouvée et ramenée ici? Quelle heure est-il?
    J'ai l'intuition que quelque chose de grave est arrivé mais qu'il ne veut pas ou n'ose pas m'en parler.
    Il confirma mes inquiétudes les unes après les autres au fur et à mesure de son explication:
    - En fait je pourrais être entendu comme témoin car j'ai vu tout ce qui s'est passé depuis que vous avez posé le pied sur le sable de cette plage. La direction a installé des caméras vidéo dans tous les recoins. J'allais vous aider à traverser la marée montante quand votre ami a tenté de descendre par ses propres moyens. Si je n'ai rien fait pour l'arrêter c'est que je savais déjà que la partie était perdue d'avance et que les espoirs devenaient de minute en minute toujours plus minces de le retrouver vivant. Je suis désolé.
    Mes forces m'abandonnèrent et je laissai libre cours à mes émotions, incapable de retenir les larmes qui se mirent à couler toutes seules
    De très loin nous parvint inopinément le bruit vrombissant d'un moteur de zodiaque. Avant que le jeune secouriste ait pu dégainer son talkie walkie l'embarcation atterrit en trombe sur le platin en soulevant une gerbe de sable.
    Mon protecteur m'aida à me relever et me soutint par les épaules pendant le court trajet jusqu'au bateau:
    - Je ne voudrais pas vous materner mais tout à l'heure vous vous êtes probablement démis quelque chose en tombant. Au fait appelez moi Steve.
    Mais je ne l'écoute plus choquée par qui je découvre blotti au fond du rafiot.
    Emmitouflé dans une couverture de survie Dave grelotte de fièvre la peau parsemée d'écorchures.
    Je n'ose pas pousser mon auscultation plus loin car il est de toute évidence dans un sale état.
    Malgré tout je rassemble mes dernières forces pour me traîner par dessus le bord du zodiaque pour m'allonger à côté de lui. Epuisée je pose mon oreille contre son abdomen pour écouter les battements de son coeur. A mon grand dam son pouls est particulièrement faible.
    Soudain quelque chose effleure mon dos.
    Sans doute les embruns.
    Ou une brise sableuse.
    Puis je prends conscience que ce sont les doigts de pianiste de mon bien aimé me cherchant à l'aveuglette.
    - Ne t'en fais pas je suis là chuchotais je d'un ton aussi apaisant que possible en posant délicatement sa main dans la mienne.
    Ses doigts s'abandonnèrent au creux de ma paume, aussi glacés que du marbre:
    - Je t'aime... marmonna-t-il le regard à demi comateux avant de sombrer dans l'inconscience.

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  • Quand je me réveille tout est blanc autour de moi. Une chambre d'hôpital. Je voudrais me redresser sur mes coudes mais quelque chose entrave mes mouvements. On m'a sûrement attachée. Mais être folle d'amour n'est pas une raison valable pour être placé en hôpital psychiatrique que je sache.
    - Enfin ! Vous êtes réveillée ! Votre père voudrait vous parler.
    Je tourne la tête. Une infirmière entre deux âges est assise à mon chevet :
    - Je n'ai rien à lui dire, rétorquai-je.
    - Lui n'est visiblement pas de cet avis. Puis je le faire entrer?
    - Oui, à condition qu'il ne vienne pas me parler de mariage.
    - Il ne m'a rien révélé mais je vous préviens il est très remonté.
    - Après tout peu importe ça m'est égal car jamais je ne le laisserai me convaincre quoi qu'il arrive :
    - Alors encore prête à te jeter dans les bras du premier venu espèce d'imbécile ? tonitrua mon père campé sur le seuil.
    Toujours aussi direct voire cavalier, comme à son habitude.
    - Que lui as tu fait? m'enquis-je hardiment.
    - Deux ans ferme On a retrouvé de la drogue dans ses affaires et pas en petite quantité ! Il a eu beau affirmer ne pas vouloir vendre la coke dont il était dépositaire pour saboter le trafic de ses copains, ça sonnait faux. On ne peut pas posséder autant de drogue et prétendre ne pas dealer.
    - Et si c'était vrai ! C'est toujours la mule à qui on fait porter le chapeau de toute façon. C'est un peu facile de ne pas voir plus loin que le bout de son nez en jugeant les personnes et non pas les faits.
    - Ne me parle pas sur ce ton ! Tu vas me faire le plaisir de finir tes études et de trouver un meilleur parti.
    - Si tu crois pouvoir contrôler ainsi ma vie...
    De rage et de colère mêlées, je m'arrachais de mes sangles et sautai hors du lit, l'esquivai furtivement, m'engouffrai dans le couloir.
    - Arrêtez la, elle ne doit pas nous échapper ! cria mon père aux infirmiers de garde..
    Ceux-ci coururent à ma poursuite mais je fus plus rapide et les semai assez vite en me dissimulant dans une armoire murale remplie de médicaments.
    - Trouvez la, elle ne doit pas être loin!
    Je voulus me rencogner au fond de l'habitacle malheureusement ma tête heurta une pile de cartons qui s'écrasa au sol dans un vacarme assourdissant de verre cassé.
    - Là !
    Mon père ouvrit les deux battants du placard à la volée, m'empoigna par les bras pour me tirer dehors.
    Je me débattis, en vain:
    - Non !
    Des bras m'agrippèrent et m'enveloppèrent tendrement dans leur étreinte protectrice; une mèche de cheveux châtains dorés me caressa le cou, me chatouilla la nuque.
    - Je suis la, tu n'as plus à t'en faire maintenant!
    - David je... Je t'aime !
    Peu importe ce que mon père dira mais je prends à mon tour Dave dans mes bras et l'embrasse avec fougue.
    Furieux mon père ne tient plus en place. Néanmoins il fut dûment maîtrisé par des infirmiers :
    - Calmez vous bon sang ! Arrêtez de brider votre fille puisqu'elle est amoureuse de ce jeune homme et d'aucun autre...
    - Taisez vous ! Je veux seulement son bonheur et ce n'est pas David Greenwich qui sera en mesure de lui en donner suffisamment.
    - Vos collègues m'ont libéré au bout de quelques heures seulement ils ne disposaient d'aucune preuve ou de pièces à conviction permettant de justifier l'incarcération immédiate.
    - Et les sachets de coke?
    - Les tests d'empreintes ont prouvé que je n'y avais pas touché même pour ma consommation personnelle et comme je n'avais aucun casier judiciaire, affaire classée.
    - Tu ne t'en sortiras pas aussi facilement ! Je vais tout faire pour rouvrir une véritable enquête et cette fois tu n'échapperas pas à la justice je te le garantis.
    Dave me prit par la main:
    - Je crois que vous ne me laissez pas le choix. Prête Ellie?
    - Prête !
    Nous nous mîmes à courir poursuivis par mon père qui rallia à sa cause bon nombre de médecins de garde.
    Au niveau du hall, Dave m'aida à me hisser sur ses épaules me voyant épuisée, à bout de souffle.
    On déboulait dans la rue attenante à la clinique lorsque je m'aperçus qu'on était toujours suivis et que pour couronner le tout, mon père avait appelé des renforts venus directement des troupes de CRS du commissariat.
    - Je sais où aller pour ne pas nous faire encercler!
    Apparemment ton père a une dent contre moi. Je te propose de quitter Paris quelque temps.
    - Pour aller où? On n'a ni bagages, ni argent.
    - Heureusement j'ai pensé à tout. En sortant de garde à vue, je suis passé chez toi prendre ce qui me semblait le nécessaire de voyage basique de toute jeune femme qui se respecte. J'ai fait la même chose pour moi. Tout le barda nous attend à la consigne de la gare Montparnasse, dépêchons-nous !
     - Où va-t-on ?
    - Ces vacances au fin fond de la Bretagne dont on a souvent rêvé... pourquoi ne pas les prendre maintenant?

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  • Tétanisé Dave se figea à mi-chemin entre son lit et sa kitchenette, se laissa tomber sur l'accoudoir de son vieux fauteuil:
    - Pourquoi?
    - Je ne peux rien te dire sans nous mettre tous les deux en danger.
    - Toi alors! Tu ne changeras donc jamais, tu m'as dit exactement la même chose lorsqu'on s'est séparés après la terminale. Qu'entends tu par là?
    Je ne trouvais rien à répondre et me détournai pour aller préparer un semblant de petit déjeuner. La cafetière en main je le sentis approcher dans mon dos:
    -T'es une sacrée tête de mule mais je t'aime bien, me murmura t il à l'oreille en me massant les cheveux.
    Il me força à lui faire face et s'agenouilla doucement à mes pieds:
    - Je ne suis ni un super-héros ni un prince charmant juste moi. Ce "moi" voudrait tout simplement t'aimer car il t'accepte toute entière, comme tu es...
    - Arrête! L’interrompis-je brusquement. Arrête avec tous ces bons sentiments! On est faits l'un pour l'autre cela est indéniable mais reviens sur terre: tu es dealer, je suis fille de flic. J'admets volontiers qu'il n'est pas impossible de dépasser ces contraintes sociales mais on ne vit pas dans un monde rose bonbon: pour ta gouverne mon père cherche déjà à me marier pour que je quitte enfin le giron familial. Il a toujours voulu maîtriser la moindre parcelle de mon existence...
    Se relevant il m'ouvrit les bras; étroitement blottie contre lui je sentis lentement exploser la carapace que j'avais érigée autour de mon coeur pour supporter le contrecoup de cette séparation forcée:
    - Aide moi... j'en ai assez de cette vie réglée comme du papier à musique. Je veux être libre. Je veux t'aimer. Je veux vivre.
    Enfin débarrassée de mon cocon je suis passée de l'état de chenille à celui de papillon.
    Détendue et soulagée d'avoir finalement confié ce que j'ai sur le coeur à quelqu'un.
    Pourvu que cela dure.
     
    Des coups frappés à la porte; brutale la réalité nous rattrape au galop:
    - Ouvrez! Emilie, je sais que tu es là!
    Mon père. Je réfléchis à toute vitesse mais ne trouve aucune diversion valable.
    - Va te cacher sur le balcon! Siffla Dave en me poussant vers la fenêtre.
    Je déboule sur la minuscule terrasse. Un coup d'oeil en contrebas et j'aperçois l'essaim de voitures de police des renforts mobilisés garées en double file sur le boulevard toutes sirènes hurlantes.
    Lorsque je remarque que l'un des collègues de mon père regarde vaguement vers le balcon je bats aussitôt en retraite mais trop tard: il m'a repérée son talkie walkie collé à l'oreille.
    En désespoir de cause je lui fais signe de raccrocher mais il secoue vivement la tête en remuant silencieusement les lèvres. Je suis incapable de voir d'ici ce qu'il articule mais je devine aisément ses intentions:" Maintenant tu ne peux plus échapper à ton destin".
    Piégée je me retourne vers la porte-fenêtre restée entrouverte prête à affronter mon père quand je vois Dave me regarder avec tristesse campé sur le pas de la porte la main posée sur la poignée:
    - Là où on s'aime il ne fait jamais nuit, chuchota t il pour que je sois la seule à l'entendre.
    Alors il déverrouilla la chaîne et tourna la poignée:
    -Ne fais pas ça, ou tu vas le regretter! L’exhortai-je.
    Au lieu de suivre mes conseils il me tourna le dos et ouvrit. Aussitôt il fut encerclé et mon père le menotta solidement:
    - DAVID!! Hurlais je en bondissant en avant les bras tendus.
    Mon père fit signe à l'un de ses sbires qui parvint difficilement à me maîtriser.
    J'eus à peine le temps de remarquer qu'il portait une blouse blanche avant de perdre connaissance.

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  • Enfin je suis guérie. Ou presque. Les médecins ont déclaré qu'ils me gardaient en observation encore une semaine puis qu'à l'issue de ce délai je serais enfin sur pied.
    Je devrais m'en réjouir bien entendu mais je sais pertinemment que s'ils venaient à le savoir il aurait de sérieux ennuis.
    Oh Dave mon amour comme j'aurais aimé te savoir près de moi afin qu'on puisse ne serait-ce que se parler.
    J'hésite encore mais au fond de moi je sais parfaitement que cela nous est impossible désormais.
    ...à un de ces jours peut-être...
    Adieu...
     
    Dave cligna des yeux aveuglé par la lumière qui se déversait à flots sur le clic-clac où il était allongé. Peinant à émerger il voulut se lever pour se préparer un café et un Doliprane mais une main sortie de nulle part lui saisit le poignet et le repoussa doucement au fond du lit de camp:
    - Du calme David. Rendors-toi donc. Grand-mère m'a mise au courant pour tes insomnies. Ce n'est pas d'excitants dont tu as besoin mais de sommeil, espèce de crétin.
    Eperdu, Dave chercha d'où provenait cette voix se répercutant autour de lui à l'infini accompagnée d'un bip bip incessant. N'ayant pas encore recouvré une vision nette il parvint néanmoins à distinguer les contours vagues d'un fauteuil roulant dans lequel une jeune femme était assise, ses cheveux auburn relevés en une simple tresse d'où quelques mèches folles teintées de reflets roux s'échappaient. Toutefois plongée dans l'un des nombreux magazines de psychologie entassés un peu partout à travers le studio elle le couvait d'un regard tendre et attentionné qui ne laissa plus l'ombre d'un doute au jeune homme sur son identité: il peina encore à y croire pourtant c'était bien elle. Ellie s'interrompit dans sa lecture. Tant pis elle ne savait pas comment lui annoncer autrement mais il fallait qu'il sache:
    - Je suis venue pour t'annoncer notre séparation David.
    Au regard à la fois désespéré et fiévreux qu'il posa sur elle, Ellie comprit un peu trop tard à quel point elle l'avait blessé. Mais ce qui est fait est fait; et on ne peut rien y changer malheureusement. On était à la mi-janvier: il faisait doux pourtant un vent glacé s'engouffra en faisant claquer les battants de la fenêtre qu'à son arrivée elle avait entrouverte pour aérer.
     
    ---
     
    *Note: Citation de Leah Goldberg extraite de De ma vieille maison.

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  • Dave courut comme il ne l'avait jamais fait de sa vie et déboula telle une furie dans l'hôpital s'attirant maints regards courroucés voire scandalisés de plusieurs infirmières. Les ignorant superbement, il piqua un sprint jusqu'à la réception:
    - Est... ce que... la nuit dernière... vous avez... admis... une certaine...Emilie Rockwell? croassa- t- il essoufflé et haletant.
    La chargée d'accueil haussa un sourcil:
    - Répétez moi ça doucement, j'ai rien compris.
    - EST CE QU'HIER SOIR VOUS AVEZ ADMIS UNE CERTAINE EMILIE ROCKWELL? cria- t - il.
    -Voyons voir... Oui, en effet chambre 111. Mais faut que je vous prévienne. ici les chambres 110 à 120 sont les seules où ne sont pas autorisées les visites car ce sont des chambres stérilisées.
    Cela fit à Dave l'effet d'un coup dans l'estomac:
    - "Stérilisées"? Qu'est ce que vous entendez par là?
    - Les malades qui sont admis là-bas sont ceux dont l'état est le plus alarmant. Grosso modo, ceux dont les jours sont largement en danger
    - Je vois, fit le jeune homme dans un filet de voix les larmes aux yeux. Mais alors dans ce cas... comment va-t-elle? Est ce qu’il y aurait au moins un mince espoir qu’elle s’en sorte ?
    - Soyons honnêtes non, à moins d'un miracle. Or, malheureusement pour vous, en médecine les miracles n'existent pas. Néanmoins j'ai une proposition à vous faire; et si vous voulez qu'elle s'en sorte c'est la seule alternative possible. Trois jours. C'est le temps qu'il lui reste à vivre: d'ici là, retrouvez les malfrats qui lui ont apparemment injecté dans les veines une drogue de genre tout à fait inconnue qui se révèle toxique voire mortelle puisqu'elle peut déclencher son action à n'importe quel moment et tuer votre amie sur le coup. Et que ces monstres vous en donnent l'antidote qu'ils ont dû fabriquer au cas où cela serait nécessaire lors de sa conception. Autrement dit, ne restez pas planté là car vous n'avez pas une seconde à perdre. Allez du vent ! Regardez autour de vous pour constater que vous n'êtes pas le seul à attendre jeune homme.
    Dave acquiesça mollement, maussade, et s'éloigna à pas lents repartant par où il était venu.
     
    Le moral à zéro, Dave entra dans le premier café venu et se commanda un cappuccino qu'il sirotait, assis au bar, perdu dans ses réflexions lorsqu'une main s'abattit d'un seul coup sur son épaule: 
    - Salut mec j'en aurais mis du temps mais je t'ai retrouvé finalement! 
    Brusquement ramené à la réalité l'intéressé sursauta et se retourna d'un bloc: derrière lui se tenait un homme affublé d'une paire de Rayban rutilante et d'un blouson en cuir noir d'encre Gucci qu'il reconnut instantanément: 
    - Attends une minute Mike. Ca fait un bail que j'ai quitté la bande une bonne fois pour toutes en t'ayant bien prévenu que ma décision était irrévocable. La preuve en est que je suis largement passé à autre chose depuis je viens de commencer des études de médecine.
    - Comme tu voudras mais sache qu'il n'est pas aussi facile que tu sembles le croire de tirer un trait définitif sur son passé de dealer: cela exige de faire quelques concessions notamment d’admettre ses échecs. S'échiner à vouloir sauver quelqu’un qui est d’ores et déjà entre la vie et la mort est vraiment puéril, qui plus est une perte de temps inutile: tout le monde sait que faire une overdose ne laisse pratiquement aucune chance de survie à moins d'un miracle. 
    En tous cas ne compte pas sur nous pour t'aider à te tirer d'affaire si jamais les choses tournent mal parce que ce sont tes problèmes et tu ne pourras pas te plaindre de ne pas avoir au moins été prévenu. 
    - Espèce de... de lâche! Et si c'était l'unique moyen de la sauver ? Tu crois peut-être que je fais ça simplement par plaisir crétin ?!? 
    Mike voulut protester mais n'ayant pas terminé Dave reprit en reposant violemment sa tasse sur le comptoir et se levant à moitié: 
    - J'aime Ellie et toi et les autres le savez mieux que personne. Et c'est bien simple: si dans trois jours elle devait mourir à cause de moi qui n'aurais pas eu le courage de tout risquer pour sa survie je ne pourrais me le pardonner. C'est une promesse que l'on s'est faite au lycée après que je me sois fait brutalement agresser par des voyous qu'elle a réussi à tenir en respect afin de me protéger: nous nous sommes juré que si l'un venait à être dans le pétrin ou en danger de mort, l'autre aurait le devoir de lui venir en aide de quelque façon que ce soit et à n'importe quel prix. Et n'ayant jamais pu lui rendre la pareille après cet incident, je me vois obligé de saisir l'opportunité qui m'est offerte aujourd'hui de remplir ma part du contrat  et puis adviendra que pourra de toute façon. 
    - Bien, vu comme tu as l'air d'être déterminé, fais le mais avant sache une chose: tu cours à une perte certaine car Ellie ne va pas mourir à cause d'une nouvelle sorte de drogue qui lui a été injectée par intraveineuse comme te l'a expliqué la réceptionniste: en réalité les médecins se servent d'elle comme cobaye pour tester un tout nouveau type de médicament contre les effets de la radioactivité pratiquement jamais testé auparavant même sur des animaux et dont une surdose de certains de ses composants chimiques pourrait se révéler non seulement mortelle mais aussi dévastatrice.   
    -Ils vont m'entendre ces s... ! jura Dave.
    Il posa le montant de son addition à côté de sa tasse et s'apprêtait à sortir quand la porte du café s'ouvrit une nouvelle fois.
     
    Tout à coup le monde parut se dissoudre et Dave se sentit tomber à travers une sorte de clair-obscur chatoyant. En proie à une terreur confinant à la névrose il cria et se réveilla en sursaut, couvert de sueur. Encore ensommeillé il pressa la touche snooze de son radioréveil et étouffa un juron en constatant qu'il était seulement une heure du matin. Huit jours avaient passé. Et chaque nuit, de manière récurrente, toujours ce même cauchemar qui le laissait éveillé jusqu'au petit matin errant sans but tel un zombie.
    Il avait bien tenté d'en trouver une interprétation en se plongeant dans l'Introduction à la psychanalyse de Freud mais cela s'était rapidement soldé par un échec la psychologie étant science plus complexe qu'il se l'imaginait. Néanmoins il refusa de s'avouer vaincu et préféra se rabattre sur des revues de vulgarisation bien qu'elles étaient censées être accessibles au plus grand nombre, la plupart le laissaient endormi dans son fauteuil jusqu'à pas d'heure tant il les trouvait assommantes. Au fond de lui il savait que ce combat était vain. Il n'en était pas certain mais ne voulait pas non plus se faire d'illusions: à moins d'un miracle on ne peut survivre à une balle prise en pleine poitrine.
    D'autre part l'idée d'être probablement le seul responsable de la mort d'Emilie ne cessait de le tarauder. Las il se leva pour se servir un café  mais lorsqu'il saisit le bol rempli du liquide brun celui-ci se brisa tout à coup entre ses doigts. Il se souvint alors que cela annonçait un mauvais présage mais étant peu superstitieux n'y prêta pas vraiment attention.
    Il se contenta d'éponger les dégâts, se servit à la place une bière et requinqué attrapa la pile de journaux empilés au pied de son fauteuil, une lampe de lecture et la télécommande de sa chaîne hi-fi. Confortablement installé il se lança alors dans la lecture du dernier numéro de Psycho magazine et mit en fond un cd où il avait gravé pêle-mêle des symphonies de Mozart, Bach, Brahms et Beethoven. Il veillait pourtant à ne réveiller personne avec mais la plupart de ses voisins avaient maintes fois porté plainte pour tapage nocturne. Toutefois chacune des procédures avait tourné court: en effet la police avait estimé après être venue sur le terrain qu'il était relativement grotesque de se plaindre d'un mélomane qui écoutait en lisant du classique à un volume tout à fait correct.
    Pourtant Dave ne tarda pas à entendre des bruits de pas précipités dévaler la cage d'escalier et alla ouvrir, exaspéré:
    - Non mais ça ne finira jamais ce cirque? C'est moi qui vais aller porter plainte si ça continue.
    Sa voisine du dessus, une quinquagénaire depuis peu à la retraite, vitupéra:
    - Ca existe de nos jours les casques stéreo mon cher David. Soit vous vous en procurez un soit vous déménagez! Je ne vois pas d'autre solution... A propos pourquoi veillez vous à des heures pareilles?
    - Insomnies à répétition depuis une semaine.
    - Consultez un spécialiste alors. Ca ne peut plus durer. Bonsoir.
    - C'est ça... Allez vous faire foutre. C'est pas vous qui avez vu un proche mourir sous vos yeux.
    - Si j'avais su... Sincèrement désolée de vous avoir dérangé. Moi aussi j'ai perdu quelqu'un récemment. Ma petite-fille. Elle s'appelait Emilie. Néanmoins les médecins ne sont pas encore formels car elle ne serait encore qu'en état de mort clinique plongée dans un coma profond. Vous vous sentez mal David? Répondez!
    Elle le rattrapa de justesse et porta le jeune homme évanoui jusqu'au clic-clac qui traînait au fond du studio:
    - Répondez!

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