• Monsieur Romulus avait réservé le CDI de seize heures à dix sept heures afin d’aider ses élèves à préparer les exposés. Au moment de faire l’appel lorsque tout le monde fut attablé la bibliothécaire se leva pour faire une annonce, le classeur à la main :
    - Avant de commencer j’ai besoin de savoir qui est le propriétaire de ce classeur. Il serait aimable de se manifester car je souhaite le lui remettre en mains propres, par précaution.
    Les élèves se dévisagèrent curieux de savoir ce qu’il contenait de si précieux et de si confidentiel.
    La bibliothécaire soupira :
    - Si c’est l’un d’entre vous je dois dire qu’il est mature pour son âge pour se lancer dans l’écriture d’un roman.
    A ce propos j’aurais une proposition intéressante à lui soumettre.
    Monsieur Romulus tendit la main pour prendre le classeur. Il le feuilleta brièvement. L’assemblée retint son souffle.
    Il esquissa un sourire moqueur :
    - C’est bien écrit mais le style est ampoulé et mièvre. : ressentir autant le vécu de l’auteur met mal à l’aise. C’est mon avis mais je ne pense pas que ce manuscrit serait éligible pour le concours d’écriture de cette année.
    Assis à la table de Louise et Geoffroy Nathanaël aurait voulu rentrer sous terre. « Espèce d’imbécile ! » se sermonna t il intérieurement.
    Monsieur Romulus tenait le manuscrit à bout de bras :
    - Il n’y a pas de nom donc je vais être obligé de le laisser dans la caisse des objets trouvés. Ce serait dommage s’il tombait entre de mauvaises mains.
    Bien puisque personne ne réagit j’en déduis que nous pouvons passer à autre chose. Je vais faire l’appel…
    Une main tremblante se leva. Tous les regards se tournèrent vers Nathanaël qui avait les joues écarlates :
    - Encore vous Lambert ? Avez vous quoi que ce soit à objecter ?
    - Le- le classeur … c’est à dire … pourrais je le récupérer ?
    - Tiens donc alors c’était vous ! Laissez moi vous donner un conseil : vous pouvez tout jeter il ne vous reste plus qu’à tout recommencer depuis la première page.
    Le classeur passa de main en main avant d’être rendu à Nathanaël qui le fourra prestement dans son sac, le visage en feu.
    Des ricanements et des moqueries fusèrent. Nathanaël déglutit et inspira profondément pour maîtriser ses émotions. Il ne devait plus se laisser submerger sinon qui sait ce qu’il pourrait advenir.
    Les rires lui écorchaient les tympans, il avait envie de lâcher la bride mais se contraignit à feindre l’indifférence. Son cœur lui criait de pleurer afin de relâcher la pression qui l’opprimait mais il serra les dents pour endurer la douleur.
    Sa tension augmenta dangereusement. Louise ne pouvait rien faire ni pour le réconforter ni  le consoler à moins d’être à son tour la cible de la risée générale.
    Elle se demanda pourquoi il ne se défendait pas : son calvaire n’allait qu’empirer s’il se comportait en victime.
    Qui était cette Esther pour qui il était prêt à subir les plus douloureux supplices uniquement pour la retrouver ?
    Si elle était réellement une sœur présumée disparue depuis des années, il ne l’avait pas connue et ne la connaîtrait sans doute jamais. Elle se demanda quels parents, même en instance de divorce, avaient été capables d’infliger à leur fils une séparation source autant de souffrances terribles que de regrets atroces.
    Rien au monde n’aurait su justifier un tel acte si bien qu’elle se surprit à ressentir de la compassion à son  égard.
    Il lui sembla qu’il était un enfant aux yeux d’adulte. Il porta son attention sur le revêtement en formica de la table devant lui afin de ne pas croiser le regard de ses camarades.
    Cela mit profondément Louise en colère même si elle aurait donné tout l’or du monde pour ne pas le montrer. C’était dans les règles de l’art une humiliation publique provoquée par Monsieur Romulus en personne. Et quiconque n’aurait osé s’en scandaliser ouvertement.
    Louise avait peur. La plupart du temps cela pouvait être pour des motifs de ce registre que des lycéens décidaient tout à coup de se suicider, du jour au lendemain sans préavis.
    Or si ses camarades nourrissaient un certain mépris à l’égard de Nathanaël elle avait appris à l’aimer et commençait tout juste à l’apprécier. Par conséquent elle se retrouva partagée entre deux alternatives : soit se ranger du côté de ses camarades et mener la vie dure à Nathanaël soit prendre la défense de celui ci au mépris des rumeurs malveillantes qui ne manqueraient pas de s’ensuivre. Dans tous les cas en tant que déléguée de classe il fallait choisir et vite si possible.
    « -Suis ton cœur et ton instinct te dictera comment agir. »
    La voix prononça au plus profond d’elle-même.
    Louise sursauta. Si elle-même commençait à entendre des voix c’était la fin des haricots !
    « Fais moi confiance il ne t’arrivera rien si tu suis mes recommandations. Contente toi de me répondre par la pensée. »
    « Comme cela te… vous sied. Au fait qui êtes vous ? »
    « Je suis toi et tu es moi. Cessons les formalités tu peux me tutoyer. »
    «  Serais tu en quelque sorte ma conscience ou mon subconscient ? »
    «  En quelque sorte mais je préfère considérer les choses autrement. Je suis ton reflet dans l’autre monde pour être exacte. »
    « Ah bon ? Et pourquoi tu daignes me contacter seulement maintenant si tel est le cas ? »
    «  Va savoir. Pourtant la connexion a eu étonnamment du mal à s’établir et je ne sais pas exactement quel message je dois te délivrer. »
    «  C’est une blague, n’est ce pas ? Pour qui tu me fais passer là maintenant ? Je suis censée être en cours d’histoire à l’heure actuelle. »
    « Ne m’en veux pas c’est pas par plaisir que je fais tout ça, on m’a missionnée pour établir le contact avec toi ! »
    « Si tu es moi et que je suis toi cela ne devrait pas poser problème. »
    « C’était la manière la plus simple et la plus rapide d’expliquer la situation. La réalité est beaucoup et de loin plus complexe. »
    «  Et si je décide de te croire, admettons que ton histoire soit vraie j’aimerais pouvoir t’appeler par ton nom. Moi c’est Louise, Louise De Servian. Enchantée de rencontrer ma propre conscience. »
    «  Tu as la tête bien faite mais tu comprends lentement tout ce qui touche de près ou de loin au surnaturel Louise. Salutations appelle moi Esther, Esther Lambert. »
    - Qu- qu- quoi ? Louise hurla en clignant des yeux, ahurie.
    - Je vous ai seulement demandé de penser à rapporter le cahier de textes au bureau des élèves après les cours, Monsieur Romulus commenta en la fixant d’un air perplexe.
    - Ah… oups… je- je suis revenue à la réalité n’est ce pas ou est ce une illusion ? balbutia Louise en promenant un regard halluciné sur le CDI.
    - De quoi parlez vous Mademoiselle de Servian ? Je ne crois pas que les cuistots ont concocté une salade aux champignons hallucinogènes ce midi.
    Quelques éclats de rires étouffés accueillirent ce bon mot. Louise quand à elle déglutit :
    - Rien ce n’est vraiment rien, sans doute une absence.
    - Vous avez souvent des absences en ce moment.
    - Vous feriez moins le plaisantin si vous étiez à ma place professeur.
    - Je vous demande pardon ?
    - Le fou est celui qui ne se fie qu’à lui même.
    - Vous êtes devenue folle ?
    - Peut être. Peut être pas mais tout dépend du point de vue d’où vous jugez la situation. La raison n’explique pas tout.
    Louise s’entendait parler mais c’était comme si ce n’était pas sa voix, la voix de quelqu’un d’autre qui s’exprimait en son nom.
    Une violente migraine lui cisaillait le crâne à s’en taper la tête contre les murs jusqu’à ce que la douleur cesse. Si jamais elle devait encore avoir affaire à Esther la guerre était définitivement déclarée pour l’avoir ridiculisée en public de la sorte.
    Un gloussement incontrôlé résonna derrière ses tympans. Elle capta l’espace d’un instant l’éclat d’une chevelure d’argent.
    Elle se composa un sourire enjoué pour rassurer Geoffroy sur sa santé mentale. Quant à lui Nathanaël la dévisagea du coin de l’œil par dessus la couverture d’un livre d’histoire de l’art.
     
    La douleur s’amenuisa à mesure que le temps passait et bientôt la sonnerie retentit comme une délivrance.
    Cependant dès lors que tous eurent rangé leurs affaires et quitté le CDI Louise retint Nathanaël pat le bras :
    - Chose promise chose due, je veux tout savoir sans détour sans omission à propos d’Esther.
    - Tu en sais à peu près autant que moi, je ne l’ai pratiquement pas connue étant plus jeune. Et puis mes parents ne se sont pas étendus sur le sujet …
    - Nat tu m’énerves quand tu te comportes comme un irresponsable. C’est un cas de force majeure : mais qui est Esther Lambert ?
    - Mais à quoi ça va t’avancer de savoir tout ça ? Je te l’ai déjà dit ce sont mes problèmes !
    - Et je te répète que tes problèmes sont mes problèmes !
    - Louise je t’en prie …
    - Tu auras beau me supplier même à genoux si nécessaire non je veux savoir la vérité ! Ici et maintenant !
    « - La tempérance est signe de vertu. »
    - Qui que tu soit va reposer en paix dans l’autre monde et ne t’immisce plus dans ma conscience comme dans un moulin !
    « - C’est du joli je t’ai pourtant recommandé de penser ce que tu souhaites me répondre. Le fait est maintenant laquelle de nous deux va se retrouver la première dans le pétrin ? Parce que d’un côté si je ne délivre pas mon message à temps je vais finir saucissonnée en atomes de l’autre si tu ne te décides pas à admettre l’impossible possible tu vas te damner à force de chercher une explication rationnelle aux phénomènes paranormaux qui surviennent dans ton existence de temps à autre. »
    «  Parfait marché conclu je vais délivrer ton message. De quoi s’agit il ? »
    « Tu en seras le destinataire indirect étant donné que je peux uniquement capter ta fréquence et non celle du principal intéressé. Trouve un dénommé Nathanaël en l’occurrence mon frère et dis lui que le monde a besoin de lui. »


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  • Les yeux de Louise s’écarquillèrent de stupéfaction.
    Elle dévisagea Nathanaël à la dérobée. Il était athlétique et vigoureux mais qui aurait pensé qu’un garçon aussi timide et taciturne tenait visiblement le sort du monde entre ses mains ?
    «  Possède t il lui aussi un reflet dans l’autre monde ? »
    «  Non. »
    «  Dans ce cas comment est il censé sauver l’autre monde ? »
    « Bonne question, c’est ce que tout un chacun peut se demander à l’heure actuelle. En fait il faut qu’il procède à l’éveil et son reflet sera mis au monde. Mais pour cela il doit maîtriser son pouvoir et ses émotions afin de rentrer dans l’autre monde. »
    « Attends c’est pour ça qu’il est sujet à des crises de folie ? »
    « De quoi tu parles ? De qui ? Quelles crises ? »
    « Excuse moi je suis juste soulagée d’avoir trouvé la réponse à certaines de mes questions. En fait pour faire court je connais bien ton frère et dieu sait combien il aimerait contrôler ses talents extra sensoriels lui aussi. Il est régulièrement sujet à des montées d’adrénaline intenses qui stimulent ses émotions et le mettent dans des situations quelque peu embarrassantes. »
    «  C’est un miracle que tu sois plus ou moins proche de lui comme ça tu vas pouvoir lui apporter ton aide et ton soutien quand moi je ne peux pas. »
    « Sans doute mais je suis une adolescente ordinaire tu sais »
    « Pas si ordinaire puisque tu discutes avec moi par télépathie depuis tout à l’heure. »
    « C’est vrai »
    «  Dis lui que je pense à lui et que je regrette d’avoir été séparée de lui si longtemps. S’il te plaît. »
    « Je le ferais, pas de soucis. »
    « Allez cette fois il faut que je me déconnecte. J’espère qu’on aura l’occasion de se rencontrer en chair et en os un de ces jours. A la prochaine. »
    « Oui à bientôt. »
    Louise entendit un claquement lointain comme le bruit d’un téléphone qu’on raccroche.
    Un sourire amical se peignit sur ses lèvres :
    - Oui à bientôt, se répéta elle tout bas pour elle même.
    Elle n’arrivait pas à croire ce qui lui arrivait.
    Elle préféra s’en tenir à ses certitudes et ignorer l’injonction d’Esther. Elle soupira avec lassitude et se tourna vers Nathanaël :
    - Tu présentes l’option art plastique pour le bac, n’est ce pas ? Suis moi je vais te montrer le chemin.
    La salle dévolue aux arts plastiques était un joyeux capharnaium de matériel artistique hétéroclite, de croquis inachevés, d’installations créatives s’épanouissant dans chaque recoin.
    Lorsqu’ils arrivèrent tout le monde était déjà attablé. Le professeur titulaire de l’atelier un petit bonhomme jovial du nom de Monsieur Pravda s’approcha d’eux se fendant d’un large sourire :
    - Vous devez être Nathanaël Lambert jeune homme, n’est ce pas ? Ravi de vous rencontrer.
    Il lui serra la mais jusqu’à lui en broyer les doigts.
    Nathanaël sourit avec une grimace :
    - Enchanté.
    - Tu me rempliras la fiche contact pour la prochaine fois rien ne presse. Tu arrives parmi nous à point nommé, les choses sérieuses n’ont pas encore commencé. As tu déjà une idée du thème sur lequel tu veux travailler ?
    - Non pas vraiment.
    - Ne t’inquiètes pas l’inspiration viendra avec le temps au cours des prochains mois mais ne perds pas de vue l’objectif final qui est de présenter dix productions tous supports confondus devant l’examinateur à la fin de l’année. C’est bien je vois que tu as pensé à amener ton matériel. Va t’asseoir tu es le bienvenu parmi nous.
    Louise le précéda jusqu’à la table située près de la fenêtre à laquelle elle s’installait habituellement. Elle extirpa une feuille format raisin de son sous-main et fit tournoyer un criterium entre ses doigts en avalant sa salive avec difficulté. Elle entrouvrit la fenêtre pour aérer :
    - J’ai quelque chose à –
    Elle resta sans voix à mi phrase lorsque son regard croisa une paire d’yeux gris mauve qui la fixaient depuis la cime du vieux chêne du parc.
    Elle se leva d’un bond et fit coulisser entièrement la paroi en verre d’un geste brusque :
    «  Qu’est ce que c’est que ce bordel ? »
    « Salut, finalement je me suis arrangée pour venir en cachette. »
    «  En- en cachette, comment ça ? »
    Esther apparut au milieu du feuillage, les jambes nonchalamment suspendues dans le vide.
    « Normalement je ne suis pas autorisée à quitter l’autre monde sans autorisation expresse de Sa Majesté. Tu m’invites ? Il fait un froid glacial par chez toi à cette période de l’année. »
    « Je suis en cours ! »
    «  Quoi tu as peur de moi ? »
    «  Non- non pas du tout c’est juste que je suis avec mes camarades et que… »
    «  La méchante Esther va venir tous vous manger. Tu ne perds rien pour attendre. »
    Une fois de plus Esther raccrocha avant que Louise émette une quelconque objection.
    Louise pinça les lèvres avec exaspération et claqua la fenêtre d’un mouvement sec.
    - Où allez vous Mademoiselle de Servian ? s’enquit Monsieur Pravda.
    - J’en ai pour une minute.
    Elle se leva et s’approcha de la porte. Au moment où elle allait tourner la poignée le battant lui explosa littéralement au visage.
    L’assemblée se figea, interloquée.
    Le temps s’arrêta, flottant en suspension.
    A la toute fin Louise faisait face à Esther qui se tenait debout campée dans l’embrasure, des traînées de fumée au bout des doigts :
    - Furieuse de me voir ?
    Louise recula d’un pas, les yeux écarquillés :
    - Tu- tu viens juste de réduire la porte en cendres et tu fais comme si de rien n’était ?
    - Peu importe je vais devoir effacer la mémoire de tous les témoins impliqués d’une manière ou d’une autre avant de m’en aller.
    Esther releva la manche de sa robe révélant un sceau magique dessiné sur le dos de sa main gauche. Elle l’activa d’une injonction par la pensée. Il se colora de rouge du plus clair au plus foncé. L’air claqua violemment et le temps reprit son cours habituel.
    Louise tourna la poignée et sortit dans le couloir.
    Personne.
    La salle de cours était intacte comme elle l’avait toujours été.
     
    Louise eut bien du mal à se concentrer sur sa recherche de projet ensuite.
    Troublée elle dessina des choses et des personnages au hasard, incapable de se focaliser sur une thématique en particulier.
    L’étrange expérience mentale qu’elle vivait depuis l’aventure du CDI était rationnalisée en psychologie comme maladie mentale profonde.
    Une angoisse sourde lui étreignait l’estomac. Entre rêve et réalité le plus apaisant était de se fier à la réalité mais la réalité elle même lui jouait des tours. Donc en quelle réalité devait elle croire pour maîtriser ses sens ?
    Elle regarda Nathanaël à la dérobée. Ses cheveux ondulant le long de ses épaules au gré de ses mouvements de tête. Son front plissé en quête d’inspiration. Ses yeux suivant le tracé du crayon à la surface du papier. Ses mains effilées croisées sous le menton en pleine réflexion intérieure sur la marche à suivre pour atteindre au mieux son objectif.
    Il releva la tête lorsqu’il réalisa qu’elle le couvait du regard et lui sourit :
    - Tu n’as pas l’air inspirée, as tu besoin d’aide ?
    Une question posée sur un ton amical et Louise ne se voyait pas refuser sa proposition.
    Seulement elle posa son criterium et sourit à son tour :
    - L’irréelle réalité, n’est ce pas un sujet idéal pour mon futur projet ?
    Elle découpa une portion de papier raisin et croqua rapidement le portrait d’Esther :
    - Imagine un instant que chaque personne perçoive la réalité différemment, il n’y a plus de vrai, de faux seule la question de la perception demeure.
    Nous vivons dans ce monde mais que trouve t on de l’autre côté du miroir ? Un reflet de nous même qui nous dépeint tel qu’on est ou qu’on aimerait être.
    Et si, derrière chaque miroir se trouvait un monde parallèle que ferait on si on rencontrait notre reflet en chair et en os ? Est ce un effet d’infraction de notre conscience, de notre moi profond ? Toutes ces questions je me les pose et je suppose qu’il n’existe pas une réponse sensée qui puisse répondre à mes doutes et mes craintes. Voilà à quoi je pense, au plus profond de moi.
     
    Assise sur le toit de l’école dans la position du lotus, Esther sourit en son for intérieur en entendant ces mots. Elle s’étira et s’allongea sur le dos pour contempler le ciel insouciamment.
    C’était sans compter sur l’ombre qui prit forme à son insu à ses côtés.
     
    Le stylo de Louise dérapa. Sa main bougea toute seule écrivant en lettres capitales : « J’AI BESOIN D’AIDE ». Elle resta immobile hésitante puis ajouta : « SIGNÉ ESTHER ».
    C’en était trop. Terrorisée Louise se leva d’un bond et déchira son croquis qu’elle jeta prestement dans la corbeille à papiers.
    Quelques uns de ses camarades parmi les plus curieux se retournèrent avides de savoir ce qui se passait de si intriguant.
    Louise ressentit soudain une vive douleur. Elle baissa les yeux et regarda la paume de sa main. Une goutte de sang coula le long de son poignet dessinant les contours déformés d’une fleur fanée.
    Elle déglutit pour masquer son dégoût et son inquiétude.
    - Je me suis coupée en manipulant mes papiers, mentit elle délibérément pour rassurer les esprits.
    Elle essuya le sang à l’aide d’un mouchoir mais le saignement ne s’arrêta pas pour autant.
    - Monsieur Lambert veuillez accompagner Mademoiselle de Servian à l’infirmerie je vous prie.
    Nathanaël s’exécuta sans délai :
    - Viens Louise. Ne t’inquiètes pas pour autant ce n’est qu’une petite coupure qui a beaucoup saigné. Tu n’as rien à craindre crois moi.
    « J’aimerais bien » pensa Louise mais elle ne fit aucun commentaire.
     
    Le ciel se teintait de bleu sombre mais la nuit ne tombait pas encore lorsqu’ils traversèrent la cour. A mi chemin Louise s’immobilisa, sujette à un mauvais pressentiment.
    Le vent s’était arrêté. Le silence était total. Elle fit volte face et sonda la pénombre du parc du regard. Le vieux chêne se trouvait exactement à l’arrière du bâtiment des arts si sa mémoire ne lui faisait pas défaut.
    - Où vas tu ? demanda Nathanaël en courant derrière elle.
    - Contente toi de me suivre !
    Ils firent halte au pied du vieux chêne. L’intuition de Louise avait été bonne : le portail vers l’autre monde se trouvait juste entre ces feuillages, ces branches et ce tronc mousseux.
    Elle plaça sa paume contre le tronc pour en ressentir la pulsation vitale.
    Son cœur se calqua sur la respiration du géant végétal.
    Bientôt ils ne firent plus qu’un.
     
    Elle ouvrit les yeux. Au premier abord, au premier regard rien n’avait changé.
    Mais elle comprit que quelque chose n’allait pas en constatant que l’espace terrestre autour d’elle était inversé. Ce qui était écrit se lisait désormais à l’envers, ce qui se voyait était la symétrie parfaite du monde qui lui était familier.
    Elle venait de franchir le passage vers l’autre monde.
    Cependant Nathanaël n’avait pas encore effectué la traversée. Il regardait autour de lui, hébété à l’idée que Louise se soit volatilisée.
    C’était comme si une épaisse vitre les séparait. D’un côté comme de l’autre aucun ne pouvait rentrer en contact avec l’autre ceci lié directement à la compostions magique de la paroi qui séparait la réalité de l’autre monde.
    Louise eut crainte que toute sortie soit définitive et de ce fait l’empêchât de courir au secours d’Esther.
    Elle posa la main sur le tronc pour lui indiquer la marche à suivre.
    «  Si quelqu’un m’entend, à l’aide ! »
    La voix d’Esther prononça en écho sous le crâne de Louise.
    Celle ci sursauta et se retourna. La forêt était plongée dans l’obscurité.
    Une paire d’yeux écarlates étincela parmi les ombres.
    « Esther nous venons te sauver ! »


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