• Chapitre 4

    Samantha se réveilla en sursaut et cligna des yeux, désorientée. Son dos reposait sur une surface douce et moelleuse ; elle  éprouva la sensation d’être reposée après avoir dormi longtemps. Elle tangua lorsqu’elle essaya de se redresser et réalisa qu’elle se trouvait dans la cabine d’un bateau.  Par le hublot la mer étincelait paisiblement.
    - Vous êtes réveillée ?
    Samantha sursauta et se retourna. Une femme resplendissante se tenait dans l’embrasure de la cabine et lui souriait :
    - Bonjour je m’appelle Samia Gekko. Je suis la fille de Genma.
    - Ravie de vous rencontrer elle m’a beaucoup parlé de vous. Pour ma part je suis Samantha Marie Duval-de la Thénardière.
    Samia ne se départit pas de son sourire, admirative :
    - Etes vous la fille de Catherine ? Cela me semble étonnant qu’elle vous ait laissée faire le tour du monde à un âge aussi jeune.
    - Vous connaissez ma mère ? s’exclama Samantha stupéfaite. En fait elle n’est pas au courant… Au fait qu’est ce qui m’est arrivé ? Où est Genma ?
    - Je vous ai repêchées inconscientes au niveau du triangle des Bermudes et vous avez toutes deux dormi trois jours entiers.
    «  J’aurais pourtant juré qu’Utopia  était bien réelle » songea Samantha.
    - Etait-ce l’idée de Genma ? s’enquit Samia.
    - Quel est le sens de votre question ? répondit Samantha.
    - Cette partie de l’Atlantique est dangereuse même pour une navigatrice expérimentée.
    - Je ne l’ai pas forcée à m’accompagner. Elle a fait ce choix de son plein gré.
    - Décidément elle ne s’est pas assagie avec l’âge. Elle sait pourtant que sa santé défaillante ne lui permet plus de prendre le large !
    - Je ne me voyais pas refuser son aide, je ne suis pas suffisamment expérimentée pour partir seule en mer…
    - Je ne te blâme pas ! s’exclama Samia. Genma a toujours été si téméraire. Viens manger un morceau tu dois être affamée. Mon fils Riotaka a préparé un plateau de fruits de mer dont tu me diras des nouvelles.
    Elle l’aida à se hisser sur le pont et la précéda dans une cabine annexe qui servait à la fois de cuisine et de salon. Le dénommé Riotaka et Genma étaient attablés autour d’un plat de fruits de mer disposés en assortiment apéritif.
    - Bonjour Samantha, as tu bien dormi ? s’enquit Genma.
    La jeune fille acquiesça avec un sourire en observant Riotaka à la dérobée. Brun aux yeux noisette il avait le teint légèrement hâlé. Elle avait l’impression de l’avoir déjà rencontré quelque part mais avait oublié où et quand.
    - Je vais faire les présentations, enchaîna Samia. Riotaka voici Samantha. Samantha voici mon fils Riotaka.
    - Enchanté, sourit le jeune homme en attrapant une crevette.
    - Moi de même ravie de te connaître, répondit Samantha troublée.
    Elle était quasiment certaine de le reconnaître :
    - On ne s’est pas déjà rencontrés quelque part ? demanda-t-elle le sourcil levé.
    - Impossible de l’affirmer mais je suppose que non. Je fais peut-être erreur…
    - Ne t’en fais pas juste une troublante impression de déjà vu.
    Genma la regarda du coin de l’œil avec étonnement. Elle précisa en se resservant en langoustines :
    - J’ai trouvé indélicat de vous en faire part en l’absence de Samantha mais elle souffre d’amnésie depuis dix ans. Au delà de ses sept ans elle ne se souvient de rien à propos de son enfance.
    Cette déclaration jeta un froid. Tous les regards se tournèrent vers Samantha qui rougit légèrement :
    - C’est ce que la plupart des psychiatres ont diagnostiqué pour rassurer ma mère mais je ne suis pas sûre que ce soit exactement ce dont je souffre. Il y a fort à parier que j’ai fait une expérience de mort imminente.
    - En effet cela expliquerait tes cauchemars, supposa Genma en se décalant pour lui permettre de s’asseoir.
    - Quoi ! J’ai encore parlé pendant mon sommeil ? demanda Samantha.
    - Pas du tout, tu n’as pas à t’inquiéter de ce côté là. Par contre je n’avais jamais remarqué que tu portes une cicatrice au niveau de la nuque qui court tout autour de ton cou. Qu’est ce qui t’est arrivé ? Serait ce la raison pour laquelle tu as arrêté de pratiquer la voile ?
    - Je n’ai jamais pris de cours de voile.
    - En es-tu certaine ? Pour une débutante tu es plutôt douée dans le domaine.
    - C’est parce que j’ai appris dans les livres en compensation de prendre des cours ce que Mère m’a constamment interdit.
    - Tu ne t’es jamais demandé pourquoi ? intervint Riotaka médusé.
    Samantha ne répondit pas et baissa les yeux :
    - Peut on parler d’autre chose ? C’est un moment dur de ma vie dont je n’aime pas me rappeler…
    Soudain un courant mouvementé fit basculer le bateau et Samantha trembla de frayeur en se cramponnant solidement  à la table en face d’elle.
    Une expression teintée de peur se peignit sur son visage lorsque des images effrayantes de son accident en mer lui revinrent en mémoire. Elle se recroquevilla sur elle-même en proie à une crise d’angoisse qui la prit au dépourvu.
     
    - N’aie pas peur.
    La mer était redevenue calme ; elle reprit contenance en acceptant le verre d’eau fraîche que Riotaka lui tendait. Elle le but à petites gorgées en reprenant ses esprits. Sans s’y attendre elle se retrouva en tête à tête avec Riotaka, Genma et Samia étant parties discuter sur le trampoline afin de vérifier la position des voiles et des safrans.
    - Tu as seulement dix sept ans mais tu as l’air d’avoir beaucoup enduré, lui fit remarquer Riotaka.
    Samantha regarda tristement son reflet au fond du verre :
    - C’est vrai je n’ai pas eu une adolescence facile. Mais j’ai au moins le mérite d’avoir surmonté les épreuves qui se sont présentées à moi même si je ne suis pas devenue celle que j’aurais voulu être en grandissant. Devenir la parfaite jeune bourgeoise ne m’intéresse pas le moins du monde. Je veux voyager, découvrir de nouveaux horizons… mais malheureusement je reviens à la case départ et je n’aurais plus jamais l’opportunité de sortir du carcan social de mon milieu.
    - Et si tu décidais de tout plaquer ?
    - Ce n’est pas si facile. Catherine Duval m’a quand même sauvé la vie et je ne pourrais jamais suffisamment la remercier pour ce geste. Je ne demande qu’à voler de mes propres ailes mais elle ne me permettra jamais pour me punir de ma tentative de fugue. Une princesse dans une prison dorée voilà ce que je suis devenue et ce que je vais rester pour toujours. Utopia, la cité où tous vos rêves deviennent réalité… ce n’est pourtant qu’une légende, comment ai-je pu être aussi naïve ?
    - La cité des rêves n’est peut-être qu’une légende que les navigateurs se transmettent de génération en génération mais on raconte qu’elle a le pouvoir d’exaucer le vœu le plus cher de celui ou celle qui ose partir à l’aventure en quête de soi sans savoir où aller.
    - J’ai du mal à croire à ces choses là mais c’est un drôle de hasard du destin que je me trouve à bord de ce bateau même si je me doute que c’est en partie grâce à Genma.
    Riotaka se mit à rire :
    - De quoi tu te plains ? A l’heure qu’il est vous serviriez sûrement de dîner à un banc de poissons six pieds sous l’Atlantique si on ne vous avait pas porté secours.
    - Ce n’est pas ce que je voulais dire. La mer doit me détester, cela fait la deuxième fois de ma vie que je suis victime d’un dessalage qui aurait pu m’être fatal.
    - Si tu cherches les accidents tu les trouves. Le triangle des Bermudes n’est pas la région la plus hospitalière de l’interface atlantique tout de même !
    - Ce n’est pas drôle !
    - Mieux vaut en rire qu’en pleurer… L’essentiel est que tu sois en vie.
    Gêné il reprit sur un ton plus sérieux :
    - Moi non plus mon adolescence n’a pas été rose bonbon. J’ai été profondément marqué par la perte de ma grande sœur il y a dix ans de cela. Elle aussi elle a eu un grave accident de catamaran mais contrairement à toi elle n’a pas survécu. Et j’ai mis très longtemps à faire mon deuil. Disons que maintenant j’essaye de voir la vie du bon côté pour éloigner l’angoisse et la tristesse. Nous étions quasiment devenus inséparables …
    On formait une belle équipée avec Ino, elle et moi.
    - Ino ?
    - C’est mon meilleur ami, Inoichi Takeshi. Je te le présenterais lorsqu’on sera arrivés, il travaille comme bénévole à la base nautique d’Izigny cet été.
    - Mais j’habite justement là bas ! Je l’ai probablement déjà croisé.
    - Ce n’est pas possible car chaque année il vient seulement l’été depuis Brest pour travailler à la base nautique au mois de juillet avant de partir en vacances en Corse avec ses parents.
    Il se leva et s’empara d’un album de photos de vacances posé sur le rebord du hublot. Il l’ouvrit à la première page et le lui tendit :
    - Tiens regarde là c’est nous trois sur la plage avant notre premier stage de catamaran.
    Le cliché montrait les figures rayonnantes de trois enfants habillés de combinaisons de plongée flambant neuves. Avant que Riotaka ne lui indique à qui correspondait tel ou tel visage elle reconnut d’instinct celui d’Inoichi. Sa lèvre inférieure trembla lorsqu’elle croisa le regard espiègle de la grande sœur de Riotaka au centre du cliché. C’était incroyable, à la fois fascinant et troublent de voir qu’elle ressemblait trait pour trait à la fillette qu’elle entrevoyait dans ses cauchemars. Intriguée Samantha n’osa pas poser davantage de questions et rendit l’album photo à Riotaka avec un sourire. Il lui sourit en retour et elle réalisa qu’il avait compris la nature du sentiment d’incompréhension qu’elle ressentait lorsqu’il la regarda différemment, non pas avec curiosité mais étonnamment avec compassion.
     
    Josette prit son service à onze heures comme d’habitude et alla chercher un chiffon et une bouteille de produit à vitres à la cave. Catherine Duval était sortie faire un golf avec ses amies pour se changer les idées et sa femme de ménage en profita pour examiner le tiroir toujours soigneusement fermé à clé du guéridon du vestibule dont elle avait subtilisé la clé grâce à un moment d’inattention de sa maîtresse lorsque celle ci vérifiait son maquillage avant de sortir. A sa grande surprise elle y trouva un porte-carte en cuir usé dont elle avait jusqu’à présent ignoré l’existence. Sa curiosité piquée au vif elle l’ouvrit avec précaution et découvrit à l’intérieur des papiers d’identité au nom de Natsuhiko Gekko.

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :