•  Louise de Servian

    Nom : de Servian

    Prénom : Louise

    Age : 19 ans

    Première apparition : chapitre 1

    Physique : cheveux châtains  clair  teintés de reflets roux. Yeux gris perle. Allure fluette et ordinaire avec des formes relativement équilibrées.

    Caractère : Elle est responsable et mature peut être trop pour son âge. Elle se dédie aux autres et jamais à elle même. Sa sensibilité à fleur de peau lui joue des tours.

     

    Nathanael Lambert

    Nom: Lambert

    Prénom: Nathanael

    Age: 20 ans

    Première apparition: chapitre 1

    Physique: cheveux châtain doré. Yeux gris verts. Allure sportive due à un physique athlétique.

    Caractère : C’est un jeune homme timide et réservé. De prime abord peu avenant à cause de sa froideur à l’égard des autres et son manque apparent de confiance en lui il se révèle par la suite comme étant un ami loyal sur lequel on peut compter.

     

    Esther Lambert

    Nom: Lambert

    Prénom: Esther

    Age: 20 ans

    Première apparition: chapitre 6

    Physique: Un physique peu ordinaire: cheveux argent, peau d'albâtre, un oeil noisette et l'autre gris mauve. Son corps est parfaitement proportionné.

    Personnalité: Elle est insoumise, espiègle et un peu lunatique.

     


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  • Les yeux de Louise s’écarquillèrent de stupéfaction.
    Elle dévisagea Nathanaël à la dérobée. Il était athlétique et vigoureux mais qui aurait pensé qu’un garçon aussi timide et taciturne tenait visiblement le sort du monde entre ses mains ?
    «  Possède t il lui aussi un reflet dans l’autre monde ? »
    «  Non. »
    «  Dans ce cas comment est il censé sauver l’autre monde ? »
    « Bonne question, c’est ce que tout un chacun peut se demander à l’heure actuelle. En fait il faut qu’il procède à l’éveil et son reflet sera mis au monde. Mais pour cela il doit maîtriser son pouvoir et ses émotions afin de rentrer dans l’autre monde. »
    « Attends c’est pour ça qu’il est sujet à des crises de folie ? »
    « De quoi tu parles ? De qui ? Quelles crises ? »
    « Excuse moi je suis juste soulagée d’avoir trouvé la réponse à certaines de mes questions. En fait pour faire court je connais bien ton frère et dieu sait combien il aimerait contrôler ses talents extra sensoriels lui aussi. Il est régulièrement sujet à des montées d’adrénaline intenses qui stimulent ses émotions et le mettent dans des situations quelque peu embarrassantes. »
    «  C’est un miracle que tu sois plus ou moins proche de lui comme ça tu vas pouvoir lui apporter ton aide et ton soutien quand moi je ne peux pas. »
    « Sans doute mais je suis une adolescente ordinaire tu sais »
    « Pas si ordinaire puisque tu discutes avec moi par télépathie depuis tout à l’heure. »
    « C’est vrai »
    «  Dis lui que je pense à lui et que je regrette d’avoir été séparée de lui si longtemps. S’il te plaît. »
    « Je le ferais, pas de soucis. »
    « Allez cette fois il faut que je me déconnecte. J’espère qu’on aura l’occasion de se rencontrer en chair et en os un de ces jours. A la prochaine. »
    « Oui à bientôt. »
    Louise entendit un claquement lointain comme le bruit d’un téléphone qu’on raccroche.
    Un sourire amical se peignit sur ses lèvres :
    - Oui à bientôt, se répéta elle tout bas pour elle même.
    Elle n’arrivait pas à croire ce qui lui arrivait.
    Elle préféra s’en tenir à ses certitudes et ignorer l’injonction d’Esther. Elle soupira avec lassitude et se tourna vers Nathanaël :
    - Tu présentes l’option art plastique pour le bac, n’est ce pas ? Suis moi je vais te montrer le chemin.
    La salle dévolue aux arts plastiques était un joyeux capharnaium de matériel artistique hétéroclite, de croquis inachevés, d’installations créatives s’épanouissant dans chaque recoin.
    Lorsqu’ils arrivèrent tout le monde était déjà attablé. Le professeur titulaire de l’atelier un petit bonhomme jovial du nom de Monsieur Pravda s’approcha d’eux se fendant d’un large sourire :
    - Vous devez être Nathanaël Lambert jeune homme, n’est ce pas ? Ravi de vous rencontrer.
    Il lui serra la mais jusqu’à lui en broyer les doigts.
    Nathanaël sourit avec une grimace :
    - Enchanté.
    - Tu me rempliras la fiche contact pour la prochaine fois rien ne presse. Tu arrives parmi nous à point nommé, les choses sérieuses n’ont pas encore commencé. As tu déjà une idée du thème sur lequel tu veux travailler ?
    - Non pas vraiment.
    - Ne t’inquiètes pas l’inspiration viendra avec le temps au cours des prochains mois mais ne perds pas de vue l’objectif final qui est de présenter dix productions tous supports confondus devant l’examinateur à la fin de l’année. C’est bien je vois que tu as pensé à amener ton matériel. Va t’asseoir tu es le bienvenu parmi nous.
    Louise le précéda jusqu’à la table située près de la fenêtre à laquelle elle s’installait habituellement. Elle extirpa une feuille format raisin de son sous-main et fit tournoyer un criterium entre ses doigts en avalant sa salive avec difficulté. Elle entrouvrit la fenêtre pour aérer :
    - J’ai quelque chose à –
    Elle resta sans voix à mi phrase lorsque son regard croisa une paire d’yeux gris mauve qui la fixaient depuis la cime du vieux chêne du parc.
    Elle se leva d’un bond et fit coulisser entièrement la paroi en verre d’un geste brusque :
    «  Qu’est ce que c’est que ce bordel ? »
    « Salut, finalement je me suis arrangée pour venir en cachette. »
    «  En- en cachette, comment ça ? »
    Esther apparut au milieu du feuillage, les jambes nonchalamment suspendues dans le vide.
    « Normalement je ne suis pas autorisée à quitter l’autre monde sans autorisation expresse de Sa Majesté. Tu m’invites ? Il fait un froid glacial par chez toi à cette période de l’année. »
    « Je suis en cours ! »
    «  Quoi tu as peur de moi ? »
    «  Non- non pas du tout c’est juste que je suis avec mes camarades et que… »
    «  La méchante Esther va venir tous vous manger. Tu ne perds rien pour attendre. »
    Une fois de plus Esther raccrocha avant que Louise émette une quelconque objection.
    Louise pinça les lèvres avec exaspération et claqua la fenêtre d’un mouvement sec.
    - Où allez vous Mademoiselle de Servian ? s’enquit Monsieur Pravda.
    - J’en ai pour une minute.
    Elle se leva et s’approcha de la porte. Au moment où elle allait tourner la poignée le battant lui explosa littéralement au visage.
    L’assemblée se figea, interloquée.
    Le temps s’arrêta, flottant en suspension.
    A la toute fin Louise faisait face à Esther qui se tenait debout campée dans l’embrasure, des traînées de fumée au bout des doigts :
    - Furieuse de me voir ?
    Louise recula d’un pas, les yeux écarquillés :
    - Tu- tu viens juste de réduire la porte en cendres et tu fais comme si de rien n’était ?
    - Peu importe je vais devoir effacer la mémoire de tous les témoins impliqués d’une manière ou d’une autre avant de m’en aller.
    Esther releva la manche de sa robe révélant un sceau magique dessiné sur le dos de sa main gauche. Elle l’activa d’une injonction par la pensée. Il se colora de rouge du plus clair au plus foncé. L’air claqua violemment et le temps reprit son cours habituel.
    Louise tourna la poignée et sortit dans le couloir.
    Personne.
    La salle de cours était intacte comme elle l’avait toujours été.
     
    Louise eut bien du mal à se concentrer sur sa recherche de projet ensuite.
    Troublée elle dessina des choses et des personnages au hasard, incapable de se focaliser sur une thématique en particulier.
    L’étrange expérience mentale qu’elle vivait depuis l’aventure du CDI était rationnalisée en psychologie comme maladie mentale profonde.
    Une angoisse sourde lui étreignait l’estomac. Entre rêve et réalité le plus apaisant était de se fier à la réalité mais la réalité elle même lui jouait des tours. Donc en quelle réalité devait elle croire pour maîtriser ses sens ?
    Elle regarda Nathanaël à la dérobée. Ses cheveux ondulant le long de ses épaules au gré de ses mouvements de tête. Son front plissé en quête d’inspiration. Ses yeux suivant le tracé du crayon à la surface du papier. Ses mains effilées croisées sous le menton en pleine réflexion intérieure sur la marche à suivre pour atteindre au mieux son objectif.
    Il releva la tête lorsqu’il réalisa qu’elle le couvait du regard et lui sourit :
    - Tu n’as pas l’air inspirée, as tu besoin d’aide ?
    Une question posée sur un ton amical et Louise ne se voyait pas refuser sa proposition.
    Seulement elle posa son criterium et sourit à son tour :
    - L’irréelle réalité, n’est ce pas un sujet idéal pour mon futur projet ?
    Elle découpa une portion de papier raisin et croqua rapidement le portrait d’Esther :
    - Imagine un instant que chaque personne perçoive la réalité différemment, il n’y a plus de vrai, de faux seule la question de la perception demeure.
    Nous vivons dans ce monde mais que trouve t on de l’autre côté du miroir ? Un reflet de nous même qui nous dépeint tel qu’on est ou qu’on aimerait être.
    Et si, derrière chaque miroir se trouvait un monde parallèle que ferait on si on rencontrait notre reflet en chair et en os ? Est ce un effet d’infraction de notre conscience, de notre moi profond ? Toutes ces questions je me les pose et je suppose qu’il n’existe pas une réponse sensée qui puisse répondre à mes doutes et mes craintes. Voilà à quoi je pense, au plus profond de moi.
     
    Assise sur le toit de l’école dans la position du lotus, Esther sourit en son for intérieur en entendant ces mots. Elle s’étira et s’allongea sur le dos pour contempler le ciel insouciamment.
    C’était sans compter sur l’ombre qui prit forme à son insu à ses côtés.
     
    Le stylo de Louise dérapa. Sa main bougea toute seule écrivant en lettres capitales : « J’AI BESOIN D’AIDE ». Elle resta immobile hésitante puis ajouta : « SIGNÉ ESTHER ».
    C’en était trop. Terrorisée Louise se leva d’un bond et déchira son croquis qu’elle jeta prestement dans la corbeille à papiers.
    Quelques uns de ses camarades parmi les plus curieux se retournèrent avides de savoir ce qui se passait de si intriguant.
    Louise ressentit soudain une vive douleur. Elle baissa les yeux et regarda la paume de sa main. Une goutte de sang coula le long de son poignet dessinant les contours déformés d’une fleur fanée.
    Elle déglutit pour masquer son dégoût et son inquiétude.
    - Je me suis coupée en manipulant mes papiers, mentit elle délibérément pour rassurer les esprits.
    Elle essuya le sang à l’aide d’un mouchoir mais le saignement ne s’arrêta pas pour autant.
    - Monsieur Lambert veuillez accompagner Mademoiselle de Servian à l’infirmerie je vous prie.
    Nathanaël s’exécuta sans délai :
    - Viens Louise. Ne t’inquiètes pas pour autant ce n’est qu’une petite coupure qui a beaucoup saigné. Tu n’as rien à craindre crois moi.
    « J’aimerais bien » pensa Louise mais elle ne fit aucun commentaire.
     
    Le ciel se teintait de bleu sombre mais la nuit ne tombait pas encore lorsqu’ils traversèrent la cour. A mi chemin Louise s’immobilisa, sujette à un mauvais pressentiment.
    Le vent s’était arrêté. Le silence était total. Elle fit volte face et sonda la pénombre du parc du regard. Le vieux chêne se trouvait exactement à l’arrière du bâtiment des arts si sa mémoire ne lui faisait pas défaut.
    - Où vas tu ? demanda Nathanaël en courant derrière elle.
    - Contente toi de me suivre !
    Ils firent halte au pied du vieux chêne. L’intuition de Louise avait été bonne : le portail vers l’autre monde se trouvait juste entre ces feuillages, ces branches et ce tronc mousseux.
    Elle plaça sa paume contre le tronc pour en ressentir la pulsation vitale.
    Son cœur se calqua sur la respiration du géant végétal.
    Bientôt ils ne firent plus qu’un.
     
    Elle ouvrit les yeux. Au premier abord, au premier regard rien n’avait changé.
    Mais elle comprit que quelque chose n’allait pas en constatant que l’espace terrestre autour d’elle était inversé. Ce qui était écrit se lisait désormais à l’envers, ce qui se voyait était la symétrie parfaite du monde qui lui était familier.
    Elle venait de franchir le passage vers l’autre monde.
    Cependant Nathanaël n’avait pas encore effectué la traversée. Il regardait autour de lui, hébété à l’idée que Louise se soit volatilisée.
    C’était comme si une épaisse vitre les séparait. D’un côté comme de l’autre aucun ne pouvait rentrer en contact avec l’autre ceci lié directement à la compostions magique de la paroi qui séparait la réalité de l’autre monde.
    Louise eut crainte que toute sortie soit définitive et de ce fait l’empêchât de courir au secours d’Esther.
    Elle posa la main sur le tronc pour lui indiquer la marche à suivre.
    «  Si quelqu’un m’entend, à l’aide ! »
    La voix d’Esther prononça en écho sous le crâne de Louise.
    Celle ci sursauta et se retourna. La forêt était plongée dans l’obscurité.
    Une paire d’yeux écarlates étincela parmi les ombres.
    « Esther nous venons te sauver ! »


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  • Monsieur Romulus avait réservé le CDI de seize heures à dix sept heures afin d’aider ses élèves à préparer les exposés. Au moment de faire l’appel lorsque tout le monde fut attablé la bibliothécaire se leva pour faire une annonce, le classeur à la main :
    - Avant de commencer j’ai besoin de savoir qui est le propriétaire de ce classeur. Il serait aimable de se manifester car je souhaite le lui remettre en mains propres, par précaution.
    Les élèves se dévisagèrent curieux de savoir ce qu’il contenait de si précieux et de si confidentiel.
    La bibliothécaire soupira :
    - Si c’est l’un d’entre vous je dois dire qu’il est mature pour son âge pour se lancer dans l’écriture d’un roman.
    A ce propos j’aurais une proposition intéressante à lui soumettre.
    Monsieur Romulus tendit la main pour prendre le classeur. Il le feuilleta brièvement. L’assemblée retint son souffle.
    Il esquissa un sourire moqueur :
    - C’est bien écrit mais le style est ampoulé et mièvre. : ressentir autant le vécu de l’auteur met mal à l’aise. C’est mon avis mais je ne pense pas que ce manuscrit serait éligible pour le concours d’écriture de cette année.
    Assis à la table de Louise et Geoffroy Nathanaël aurait voulu rentrer sous terre. « Espèce d’imbécile ! » se sermonna t il intérieurement.
    Monsieur Romulus tenait le manuscrit à bout de bras :
    - Il n’y a pas de nom donc je vais être obligé de le laisser dans la caisse des objets trouvés. Ce serait dommage s’il tombait entre de mauvaises mains.
    Bien puisque personne ne réagit j’en déduis que nous pouvons passer à autre chose. Je vais faire l’appel…
    Une main tremblante se leva. Tous les regards se tournèrent vers Nathanaël qui avait les joues écarlates :
    - Encore vous Lambert ? Avez vous quoi que ce soit à objecter ?
    - Le- le classeur … c’est à dire … pourrais je le récupérer ?
    - Tiens donc alors c’était vous ! Laissez moi vous donner un conseil : vous pouvez tout jeter il ne vous reste plus qu’à tout recommencer depuis la première page.
    Le classeur passa de main en main avant d’être rendu à Nathanaël qui le fourra prestement dans son sac, le visage en feu.
    Des ricanements et des moqueries fusèrent. Nathanaël déglutit et inspira profondément pour maîtriser ses émotions. Il ne devait plus se laisser submerger sinon qui sait ce qu’il pourrait advenir.
    Les rires lui écorchaient les tympans, il avait envie de lâcher la bride mais se contraignit à feindre l’indifférence. Son cœur lui criait de pleurer afin de relâcher la pression qui l’opprimait mais il serra les dents pour endurer la douleur.
    Sa tension augmenta dangereusement. Louise ne pouvait rien faire ni pour le réconforter ni  le consoler à moins d’être à son tour la cible de la risée générale.
    Elle se demanda pourquoi il ne se défendait pas : son calvaire n’allait qu’empirer s’il se comportait en victime.
    Qui était cette Esther pour qui il était prêt à subir les plus douloureux supplices uniquement pour la retrouver ?
    Si elle était réellement une sœur présumée disparue depuis des années, il ne l’avait pas connue et ne la connaîtrait sans doute jamais. Elle se demanda quels parents, même en instance de divorce, avaient été capables d’infliger à leur fils une séparation source autant de souffrances terribles que de regrets atroces.
    Rien au monde n’aurait su justifier un tel acte si bien qu’elle se surprit à ressentir de la compassion à son  égard.
    Il lui sembla qu’il était un enfant aux yeux d’adulte. Il porta son attention sur le revêtement en formica de la table devant lui afin de ne pas croiser le regard de ses camarades.
    Cela mit profondément Louise en colère même si elle aurait donné tout l’or du monde pour ne pas le montrer. C’était dans les règles de l’art une humiliation publique provoquée par Monsieur Romulus en personne. Et quiconque n’aurait osé s’en scandaliser ouvertement.
    Louise avait peur. La plupart du temps cela pouvait être pour des motifs de ce registre que des lycéens décidaient tout à coup de se suicider, du jour au lendemain sans préavis.
    Or si ses camarades nourrissaient un certain mépris à l’égard de Nathanaël elle avait appris à l’aimer et commençait tout juste à l’apprécier. Par conséquent elle se retrouva partagée entre deux alternatives : soit se ranger du côté de ses camarades et mener la vie dure à Nathanaël soit prendre la défense de celui ci au mépris des rumeurs malveillantes qui ne manqueraient pas de s’ensuivre. Dans tous les cas en tant que déléguée de classe il fallait choisir et vite si possible.
    « -Suis ton cœur et ton instinct te dictera comment agir. »
    La voix prononça au plus profond d’elle-même.
    Louise sursauta. Si elle-même commençait à entendre des voix c’était la fin des haricots !
    « Fais moi confiance il ne t’arrivera rien si tu suis mes recommandations. Contente toi de me répondre par la pensée. »
    « Comme cela te… vous sied. Au fait qui êtes vous ? »
    « Je suis toi et tu es moi. Cessons les formalités tu peux me tutoyer. »
    «  Serais tu en quelque sorte ma conscience ou mon subconscient ? »
    «  En quelque sorte mais je préfère considérer les choses autrement. Je suis ton reflet dans l’autre monde pour être exacte. »
    « Ah bon ? Et pourquoi tu daignes me contacter seulement maintenant si tel est le cas ? »
    «  Va savoir. Pourtant la connexion a eu étonnamment du mal à s’établir et je ne sais pas exactement quel message je dois te délivrer. »
    «  C’est une blague, n’est ce pas ? Pour qui tu me fais passer là maintenant ? Je suis censée être en cours d’histoire à l’heure actuelle. »
    « Ne m’en veux pas c’est pas par plaisir que je fais tout ça, on m’a missionnée pour établir le contact avec toi ! »
    « Si tu es moi et que je suis toi cela ne devrait pas poser problème. »
    « C’était la manière la plus simple et la plus rapide d’expliquer la situation. La réalité est beaucoup et de loin plus complexe. »
    «  Et si je décide de te croire, admettons que ton histoire soit vraie j’aimerais pouvoir t’appeler par ton nom. Moi c’est Louise, Louise De Servian. Enchantée de rencontrer ma propre conscience. »
    «  Tu as la tête bien faite mais tu comprends lentement tout ce qui touche de près ou de loin au surnaturel Louise. Salutations appelle moi Esther, Esther Lambert. »
    - Qu- qu- quoi ? Louise hurla en clignant des yeux, ahurie.
    - Je vous ai seulement demandé de penser à rapporter le cahier de textes au bureau des élèves après les cours, Monsieur Romulus commenta en la fixant d’un air perplexe.
    - Ah… oups… je- je suis revenue à la réalité n’est ce pas ou est ce une illusion ? balbutia Louise en promenant un regard halluciné sur le CDI.
    - De quoi parlez vous Mademoiselle de Servian ? Je ne crois pas que les cuistots ont concocté une salade aux champignons hallucinogènes ce midi.
    Quelques éclats de rires étouffés accueillirent ce bon mot. Louise quand à elle déglutit :
    - Rien ce n’est vraiment rien, sans doute une absence.
    - Vous avez souvent des absences en ce moment.
    - Vous feriez moins le plaisantin si vous étiez à ma place professeur.
    - Je vous demande pardon ?
    - Le fou est celui qui ne se fie qu’à lui même.
    - Vous êtes devenue folle ?
    - Peut être. Peut être pas mais tout dépend du point de vue d’où vous jugez la situation. La raison n’explique pas tout.
    Louise s’entendait parler mais c’était comme si ce n’était pas sa voix, la voix de quelqu’un d’autre qui s’exprimait en son nom.
    Une violente migraine lui cisaillait le crâne à s’en taper la tête contre les murs jusqu’à ce que la douleur cesse. Si jamais elle devait encore avoir affaire à Esther la guerre était définitivement déclarée pour l’avoir ridiculisée en public de la sorte.
    Un gloussement incontrôlé résonna derrière ses tympans. Elle capta l’espace d’un instant l’éclat d’une chevelure d’argent.
    Elle se composa un sourire enjoué pour rassurer Geoffroy sur sa santé mentale. Quant à lui Nathanaël la dévisagea du coin de l’œil par dessus la couverture d’un livre d’histoire de l’art.
     
    La douleur s’amenuisa à mesure que le temps passait et bientôt la sonnerie retentit comme une délivrance.
    Cependant dès lors que tous eurent rangé leurs affaires et quitté le CDI Louise retint Nathanaël pat le bras :
    - Chose promise chose due, je veux tout savoir sans détour sans omission à propos d’Esther.
    - Tu en sais à peu près autant que moi, je ne l’ai pratiquement pas connue étant plus jeune. Et puis mes parents ne se sont pas étendus sur le sujet …
    - Nat tu m’énerves quand tu te comportes comme un irresponsable. C’est un cas de force majeure : mais qui est Esther Lambert ?
    - Mais à quoi ça va t’avancer de savoir tout ça ? Je te l’ai déjà dit ce sont mes problèmes !
    - Et je te répète que tes problèmes sont mes problèmes !
    - Louise je t’en prie …
    - Tu auras beau me supplier même à genoux si nécessaire non je veux savoir la vérité ! Ici et maintenant !
    « - La tempérance est signe de vertu. »
    - Qui que tu soit va reposer en paix dans l’autre monde et ne t’immisce plus dans ma conscience comme dans un moulin !
    « - C’est du joli je t’ai pourtant recommandé de penser ce que tu souhaites me répondre. Le fait est maintenant laquelle de nous deux va se retrouver la première dans le pétrin ? Parce que d’un côté si je ne délivre pas mon message à temps je vais finir saucissonnée en atomes de l’autre si tu ne te décides pas à admettre l’impossible possible tu vas te damner à force de chercher une explication rationnelle aux phénomènes paranormaux qui surviennent dans ton existence de temps à autre. »
    «  Parfait marché conclu je vais délivrer ton message. De quoi s’agit il ? »
    « Tu en seras le destinataire indirect étant donné que je peux uniquement capter ta fréquence et non celle du principal intéressé. Trouve un dénommé Nathanaël en l’occurrence mon frère et dis lui que le monde a besoin de lui. »


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  • Les jeunes gens convinrent de se réunir à la terrasse du café de Flore. Charles venait tout juste de sortir d’un cours magistral d’histoire de l’art donc il aurait du retard. Geoffroy et Nathanaël se faisaient face en chiens de fusil. Louise pria pour que Charles arrive à temps pour empêcher les garçons de se déclarer la guerre. Celui ci finit par arriver un quart d’heure plus tard : 
    - Toutes mes excuses Louise, je n’ai pas pu arriver plus tôt  à cause de… 
    - Peu importe, l’important c’est que tu aies pu venir. Assieds toi, je veux qu’on mette les choses au clair. 
    Charles s’exécuta perplexe et  prit place en face de Louise. Celle ci regarda tour à tour les trois jeunes gens : 
    - Je vous ai fait venir tous les trois concernant l’incident d’hier pour calmer la situation au plus vite et comprendre ce qui s’est passé. 
    - Il n’y a rien à comprendre les faits parlent d’eux mêmes, Geoffroy objecta. Nathanaël a eu un comportement déplacé à ton encontre et il m’appartenait d’agir au nom de l’engagement que tu as pris avec mon frère. 
    - Qu’as tu à dire pour ta défense Nathanaël ? s’enquit Louise. 
    L'accusé resta silencieux. Il se sentait profondément humilié : comment se défendre alors que tous les faits jouaient en sa défaveur? Les forces étaient depuis le début inégales : c’était un combat perdu d’avance que d’espérer rallier quiconque à sa cause. Il remarqua que Charles l’étudiait du regard. Ce garçon prénommé Nathanaël avait le regard terne et glacial mais une étincelle clairvoyante animait par intermittence ses pupilles. Il avait les yeux de celui qui porte un regard différent et neuf sur le monde qui l’entoure, des yeux qui semblaient percevoir la nature véritable des choses. Il n’en laissait rien paraître de par son attitude contrite mais c’était un artiste qui s’ignorait lui même. Son talent transparaissait à travers le regard bienveillant qu'il portait sur le monde pour en apprécier la force et la beauté. 
    Mais qu’il désirât devenir ou non assouvir ses desseins, Nathanaël était contraint de se fondre dans un moule qui ne lui convenait pas, trop étroit pour lui permettre de déployer ses ailes à leur juste valeur. Il aurait voulu voler mais en était empêché, entravé par un mal-être innommé qui enchaînait son imagination débordante. Du moins était ce l’image d'un adolescent à deux visages en quête de lui-même qu’il renvoyait.L'intuition de Charles lui faisait rarement défaut. 
    - A priori je n’ai pas agi consciemment mais cela ne me dispense pas d’assumer mes actes. Je ne suis pas lâche et je n’essaierais pas de me défiler, Nathanaël déclara après un long moment d’hésitation. 
    Louise nota que Charles n’était pas encore intervenu et l’invita à prendre la parole. Celui ci but une gorgée de thé, savourant longuement le liquide ambré parfumé à la bergamote le temps de choisir ses mots : 
    - En toute franchise, cela me surprend que cet incident prenne des proportions démesurées. J’ai l’impression de revivre l’époque des vieilles mentalités où le respect de la morale faisait foi. Certes je ne remettrais pas en cause les bonnes mœurs, ou même l’institution du mariage, mais j'estime que les temps ont changé. Ceux où on condamnait les artistes pour outrage aux bonnes mœurs sont révolus. La liberté n’est pas l’apanage de l’anarchie, elle est avant tout source d’inspiration et élixir de vie pour le poète. Baudelaire avait raison lorsqu’il comparait l’artiste à l’albatros : quelle tristesse, quelle tragédie que de voir ce prince des nuées pourtant ailé et majestueux, infirme et maladroit quand il se pose ! On ne saurait que reconnaître dans cette allégorie le poète incompris et moqué au talent à la fois immense et méprisé ! Le véritable artiste n’est pas celui qui se borne à regarder avec ses yeux mais celui qui sait écouter son cœur : il en devient l’amoureux des vraies choses et des mots. Geoffroy en resta pantois, et se sentit idiot quand il réalisa qu’il était à cours d’arguments face au discours enflammé qu’avait tenu son frère. Louise ne pouvait qu’être admirative devant les prouesses oratoires de son futur époux. Nathanaël fut étonné et troublé de constater que Charles avait cerné aussi précisément et profondément son caractère sans même le connaître. Pouvait on aussi facilement lire en lui comme dans un livre ouvert ?

    Nathanaël s’assit au fond du bus qui le ramena chez lui, le visage dans les mains. Charles avait décelé la nature de son malaise avec une telle précision que d’être mis face à la vérité lui faisait encore davantage ressentir le poids de la culpabilité qui pesait sur ses épaules. Tous avaient cru en lui mais il était incapable de satisfaire leurs espoirs, de déployer ses ailes pour apprendre à voler plus haut. Toujours plus haut… 
    Les larmes coulèrent toutes seules, sans crier gare. Plusieurs passagers se retournèrent mais cela le laissa indifférent. Inutile de se cacher, inutile de nier. Sa mère lui ouvrit vingt minutes plus tard, il avait oublié ses clefs. Elle voulut s’enquérir de ce qui n’allait pas lorsqu’elle vit ses yeux gonflés mais il entra sans un  mot et  monta directement dans sa chambre. Il se jeta sur son lit et éclata en sanglots, la tête enfouie dans son oreiller. 
    Le sourire amical de Louise étincela derrière ses paupières fermées. Il se redressa et s’essuya les yeux d’un revers de la main. Il s’aspergea le visage d’eau glacée et s’assit à son bureau. Il préleva dans un tiroir une feuille vierge et un stylo et inscrivit en tête de page « Fleur de nuit ». Ce qu’il s’apprêtait à entreprendre serait mirobolant et fastidieux mais il estima qu’il était capable de le faire et de le mener à son terme. 
    Il ne s’accorda qu’un instant d’hésitation et commença à écrire. Les mots coulèrent de source. Il parla de ses doutes, de ses exploits et de ses défaites, de ses certitudes et de ses espoirs. Dix neuf heures. Vingt heures. Vingt et une heures. Les heures s’égrenaient, l’une après l’autre. Il écrivit dix, vingt, trente pages qui étaient autant de pétales de fleur. A vingt deux heures il posa son stylo, épuisé. Il se composa un sandwich avec ce qu’il trouva dans le frigo et but un verre de jus d’orange. Il revint dans sa chambre et éteignit sa lampe de travail. Il rangea les feuillets dans un classeur égaré qu’il intitula « Manuscrit » et alla se brosser les dents. 
    Il se déshabilla et contempla son reflet dans le miroir en revêtant son pyjama. Il était de carrure solide mais ne s’était jamais senti aussi nu et fragile. Pensif, il se glissa sous les couvertures et s’endormit aussitôt.   

    Le lendemain il arriva au lycée en avance. Il se sentait confiant et ne craignait plus les railleries de ses camarades. Il ne prêta pas attention à Geoffroy qui ne se priva pas de  raconter d’un ton sarcastique à ses copains l’épisode du café. Dans l’ombre Louise veillait au grain : le premier qui se divertirait à attiser de nouveau les moqueries à l’encontre de Nathanaël risquait d’avoir affaire à elle. Bien au contraire celui-ci suscitait désormais l’indifférence générale. Les gens s’écartaient sur son passage lorsqu’ il traversait les couloirs. Il était mentionné dans les conversations comme un type bizarre et peu fréquentable. A l’heure du déjeuner il s’isola dans un coin sombre de la bibliothèque loin des regards pour continuer à écrire. Quiconque l’aurait surpris aurait cru qu’il travaillait studieusement. Il ne vit pas l’heure tourner et la reprise des cours à quatorze heures arriva plus tôt que prévu. Il partit en cours au pas de course et oublia son précieux classeur en bouclant son sac dans la précipitation.
    La bibliothécaire trouva un classeur égaré en remettant de l’ordre dans les rayons. Elle l’entrouvrit pour voir qui en était le propriétaire. Aucun nom n’était inscrit à l’intérieur. Il contenait une quarantaine de pages manuscrites, calligraphiées d’une écriture fine et désordonnée comme si les mots avaient été jetés bruts avec spontanéité presque enfantine. Sa curiosité piquée au vif, elle lut les premières lignes:   « C’est l’histoire d’une graine qui germa et donna une fleur. Une fleur qui ne tardera pas à éclore au grand jour. Le talent d’un artiste qui s’ignore… »
    Le lycée organiserait pour la deuxième année consécutive un prix d’écriture qui constituait un réel tremplin pour les jeunes auteurs. Elle garda le classeur auprès d’elle au lieu de le déposer dans la caisse des objets trouvés et sourit en se demandant qui pouvait en être l’heureux propriétaire.


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  • Nathanaël revint au lycée le lundi suivant, un bras dans le plâtre. Lorsqu’il arriva en cours d’histoire à quatorze heures, un attroupement de jeunes filles en fleur accoururent vers lui pour demander de ses nouvelles mais il les écarta d’un geste diligent pour déposer ses affaires sur la table adjacente à celle de Louise. Occupée à remplir le cahier d’appel celle ci réalisa avec une seconde de retard que toutes les autres filles de la classe la dévisageaient avec des fusils dans les yeux.
     - Salut, lança Nathanaël en s’asseyant. 
    - Ah… bonjour, soulagée de te revoir parmi nous, répondit Louise en fouillant dans son sac. 
    Elle en extirpa une chemise cartonnée qu’elle lui tendit : 
    - C’est pour toi, je t’ai photocopié tous les cours de la semaine. 
    Nathanaël s’en saisit en la remerciant. La tension était à son paroxysme. Leur professeur d’histoire-géographie, Monsieur Romulus, arriva sur ces entrefaites et tout le monde s’empressa de regagner sa chaise dans un silence absolu. Il laissa cinq minutes à ses élèves pour sortir leurs affaires et cesser de bavarder, le temps de les compter rapidement: 
    - Bien, apparemment personne ne manque à l’appel. Avant de commencer je dois vous informer que vous allez me préparer des exposés sur les mouvements artistiques à travers l’histoire pour la semaine prochaine. Vous travaillerez par binômes. Votre temps de parole n’excédera pas dix minutes pour que vous puissiez tous passer à l’oral au cours de la semaine. 
    Quelques protestataires se manifestèrent arguant de l’approche des examens et de la surcharge de travail que cela impliquait. Monsieur Romulus les fit taire en leur signalant qu’ils écoperaient d’un zéro pointé si le travail était bâclé ou non réalisé. Il était notoire que Louise obtenait les meilleures notes dans toutes les matières, par conséquent était profondément jalousé celui ou celle qui faisait équipe avec elle dans le cadre des travaux de groupe. Naturellement les binômes se formèrent par affinité : si bien que ne connaissant personne, de près ou de loin excepté Louise, Nathanaël ne trouva pas de partenaire. 
    - Vous avez tous été nouvel élève un jour, quel groupe aurait l’obligeance d’accueillir une troisième personne ? demanda Monsieur Romulus. Je ne commencerais pas le cours tant que Nathanaël sera sans groupe de travail alors prenez vite une décision. Aucune main ne se leva. Nathanaël baissa les yeux en regardant le sol : il aurait voulu rentrer sous terre pour échapper aux regards moqueurs qui pesèrent sur sa nuque. Soudain le monde parut se dissoudre autour de lui ses contours devenus vaguelettes dansant et ondoyant comme le cours d’une rivière.
    « Pourquoi ici et maintenant ? » songea t il avec angoisse en relevant la tête. Les bruits extérieurs étaient désormais déformés et assourdissants. Ils paraissaient résonner depuis le rivage de l’autre côté d’une cascade. Isolé au plus profond de lui même il voyait son professeur et ses camarades se mouvoir au ralenti avec une grâce aquatique. C’était une sensation agréable et apaisante que de flotter sous la surface dans le calme absolu. Avant de sombrer il vit les lèvres de Louise bouger : elle essayait de lui dire quelque chose mais les mots s’éparpillaient au gré du courant : 
    « Reviens parmi nous Nathanaël ! » En écho à cette injonction une force invisible le souleva et le propulsa vers la surface. La tête maintenue à l’air libre il toussa, respira profondément, ouvrit les yeux.   Sa première pensée fut qu’il se trouvait toujours en cours d’histoire et qu’il devait désormais passer pour un imbécile, ou pire un fou, aux yeux de tous. Il lui fallait absolument modérer ses émotions afin de maîtriser cette étrange faculté qui le coupait momentanément du monde. Son embarras s’amplifia lorsqu’il réalisa qu’il enlaçait Louise. Les joues écarlates il s’écarta d’elle en secouant négativement la tête : 
    - Ce… ce n’est pas ce que vous croyez ! 
    Le regard grave, Monsieur Romulus croyait seulement ce qu’il voyait. Or le comportement de Nathanaël était inapproprié et impardonnable :
     - Mademoiselle de Servian veuillez l’accompagner jusqu’au bureau de Monsieur le directeur. Assurez vous qu’il passera devant le conseil de discipline. 
    Nathanaël voulut objecter mais Louise le prit doucement par l’épaule et l’entraîna dans le couloir. 
    - Je te demande pardon Louise… Je ne voulais pas… 
    - Je ne suis pas en colère contre toi. Tu dois me dire toute la vérité maintenant. 
    - Que veux tu savoir ? 
    - Ressens tu cette force invisible qui te ramène à la réalité à chaque fois que tu fais une crise ? 
    - Je ne vois pas de quoi tu parles. 
    - Tu vas encore me prendre pour une folle mais je vais t’avouer quelque chose. Si tu as la faculté de percevoir la véritable nature des choses, moi aussi je possède un talent surnaturel qui se manifeste lorsque je te sais ou que je te sens en danger. Je n’ai jamais ressenti un tel sentiment d’attachement pour quiconque. Mais attention tu ne dois pas considérer que tu peux te reposer sur moi comme si j’étais ton ange gardien. Reste conscient que je ne serais pas toujours là pour te porter secours à tout moment. Louise avait dit cela sur un ton sérieux. Nathanaël estima que le temps des explications était venu:
    - Retrouve moi après les cours  devant le porche. On rentrera ensemble, je te révélerais tout ce que tu veux savoir. Tu es tout à fait en droit d’exiger de moi des explications puisque depuis mon arrivée il ne se produit que des choses étranges et inexplicables. 
    - Pourquoi on ne pourrait pas en parler maintenant ? Je m’en fiche de sécher le cours de Monsieur Romulus, ce n’est pas un écart de conduite aussi insignifiant qui va m’empêcher dé décrocher une mention au bac. 
    - Je ne vais pas t’empêcher de travailler, toi la première tu sais combien cet examen est important pour espérer accéder aux études supérieures. Retourne en cours. 
    - A quoi bon ? Je suis prête à marier : dès que je serais bachelière ce ne sera pas pour mettre les pieds dans une université prestigieuse mais pour faire tout juste suffisamment d’études pour être cultivée et avoir de la conversation. 
    - C’est faux, tu vaux sûrement mieux que de devenir une épouse modèle. 
    - Je n’en suis pas si sûre, regarde la vie que je mène : je fais toujours en sorte d’être une jeune fille exemplaire pour plaire aux autres et tout ceci finit par être d’un mortel ennui. 
    - Je ne prétends pas comprendre ce que tu ressens mais j’admets que cela doit être parfois un rôle social difficile à assumer en toutes circonstances. Malgré tout je ne veux pas te causer davantage d’ennuis : tu devrais retourner en cours pendant qu’il en est encore temps. 
    - C’est vraiment parce que tu me le demandes, soupira Louise avec lassitude. On se voit tout à l’heure, à plus tard. 
    - Oui, à plus tard.

    Le ciel était gris et nuageux. Parées de leurs flamboyantes couleurs automnales les feuilles tourbillonnaient au gré des caprices du vent, nimbant la pelouse fatiguée de la cour d’un camaïeu de couleurs chaudes allant du rouge écarlate au jaune orangé. Nathanaël remonta le col de sa veste et s’assit à l’abri du patio pour contempler ce petit spectacle de nature. Il s’imagina être une de ces feuilles sans lendemain, libres comme l’air, décorées de reflets dorés, tournoyant inlassablement vers le ciel. Une profonde tristesse l’oppressa mais il ne savait pas pleurer. Il se contenta de se mettre dans la position de celui qui médite sur lui même sans savoir quelle direction prendre.
    Ce n’était pas sa première crise mais habituellement cela ne lui arrivait pas en public. Personne ne le croyait quand il expliquait qu’il se retrouvait coupé de toute forme de réalité dans ces moments là. La plupart des gens lui riaient au nez en le traitant de menteur voire de timbré. Cette faculté hors du commun s’était manifestée pour la première fois à l’occasion d’une sortie au musée avec ses camarades de seconde. Il avait eu la révélation au détour d’une petite salle sombre jugée sans intérêt par consensus de la majorité de la classe. Il était resté en longue contemplation devant ce tableau et se retrouva seul, en marge du groupe. Cette oeuvre était une reproduction du célèbre tableau « Le voyageur » peint par Caspar David Friedrich. Il ne pouvait en détacher ni son regard ni son attention, intrigué par ce voyageur solitaire peint de dos qui faisait face à une mer de nuages symbolisant l’infini. Son choc esthétique avait été tellement absorbant qu’il s’était senti rentrer à l’intérieur du tableau en s’identifiant à ce personnage allégorique de l’artiste. Lui qui ne s’était jamais intéressé à la peinture et à l’art en général en dehors des cours auxquels il se forçait presque d’assister au collège déclara à son retour le soir même qu’il allait devenir peintre. Mais cela fut plus facile à dire qu’à mettre en œuvre et de loin car il ne possédait encore à ce jour aucun talent pour les matières artistiques ce qui l’amena à penser qu’une fois de plus il avait été stupide de faire des choix en l’air, comme toujours. 
    Sa scolarité continua comme elle avait commencé, banale et sans intérêt jusqu’à cette matinée de juin qui bouleversa sa vie et chamboula tous ses repères. Le jour de son dix huitième anniversaire il apprit qu’il avait une sœur jumelle qui s’appelait Esther et qu’il avait connue peu de temps alors qu’il n’avait pas quitté le berceau. En cause le divorce précipité de ses  parents peu après la naissance des jumeaux. Cela remit complètement en question l’équilibre fragile sur lequel il s’était construit et il ne songea plus qu’à partir à la recherche d’Esther comme s’il cherchait à retrouver son âme sœur. Ce fut une quête vaine de deux ans d’où il ressortit épuisé physiquement comme émotionnellement. Sa sensibilité à fleur de peau avait fait rejaillir le même sentiment de plénitude qu’il avait éprouvé devant le tableau de Friedrich mais sous une forme étrange et indomptable. Il ne savait plus si en cherchant Esther, il cherchait une sœur ou une muse.
    Le tintement de la cloche coupa court à ses méditations, déjà soixante minutes s’étaient écoulées et quelques élèves sortirent prendre cinq minutes de pause dehors. Une gifle le cueillit par surprise au niveau de la mâchoire : 
    - Alors le nouveau, t’as fait plus que connaissance avec la déléguée de classe on dirait! Nathanaël releva la tête en se massant la joue. Un adolescent goguenard était penché au dessus de lui, le surplombant de toute sa hauteur : 
    - Moi c’est Geoffroy, je suis le frère cadet de Charles le futur fiancé de Louise. Autant dire que si tu ne lui présentes pas des excuses dignes de ce nom immédiatement, je peux faire en sorte que tu aies de très gros ennuis ! 
    - Je… je m’appelle Nathanaël. Je n’ai rien fait de mal, c’est juste que… 
    - Répète un peu pour voir. Sinon je te conseille vivement de lui demander pardon comme il se doit et l’affaire sera classée. 
    - Je refuse. 
    - N’importe qui serait bien stupide d’être giflé et de tendre l’autre joue. Tu le feras. 
    - Je refuse, répéta Nathanael.
    Il se leva pour se trouver à hauteur égale avec Geoffroy et ajouta: 
    - Quel manque d'éducation, on ne frappe pas un homme sans défense. 
    - Ne te cherche pas d’excuses! 
    L’ambiance était électrique être les belligérants campés face à face en position d'attaque. Soudain la voix de Louise trancha l’air : 
    - Qu’est ce qui se passe ici ? 
    Geoffroy et Nathanaël pivotèrent vers elle d’un même mouvement :
    - C’est à dire que… commença Nathanaël interrompu par Geoffroy qui le força à s’agenouiller. L'adolescent essaya de résister mais ses genoux fléchirent et il tomba aux pieds de la jeune fille. Autour d’eux tous les élèves se figèrent, choqués. Front contre terre il ne pouvait plus s’enfuir : 
    - Je te demande pardon, hoqueta-t-il entre ses dents serrées. 
    Furieuse Louise ne répondit pas. Elle lui fit signe de se relever  en fusillant Geoffroy du regard: 
    - Si tu te complais à l'humilier, il faudra d’abord me passer sur le corps! 
    Elle le protégea de ses bras sans quitter Geoffroy des yeux et conclut : 
    - Je crains que tu n’aies signé là ton arrêt de renvoi.
    Ne voyant pas ses élèves revenir en classe Monsieur Romulus sortit dans le but de les sermonner. Il resta sans voix lorsqu’il vit Louise prenant la défense de Nathanaël faire face belliqueusement à Geoffroy de Beaumarchais. Il aurait été convenable qu’elle prenne parti pour la cause du frère cadet de son futur fiancé mais les faits ne plaidaient pas en faveur des convenances. 
    L’irruption de ce Nathanaël Lambert dans son existence jusque là si rangée et si ordonnée l’avait changée du tout au tout : dorénavant elle n’était plus la même. Il prit note d'en toucher deux mots à Monsieur et Madame de Servian afin que l’incident survenu plus tôt soit réglé à l’amiable et ne fasse pas de remous. Les hautes sphères de l'établissement n’apprécieraient guère d'avoir bruit que certaines pratiques de bizutage avaient cours dans l'enceinte du lycée encore aujourd'hui, quel qu’en soit les motivations. Il préféra s’en tenir aux faits de la cause et pria ses élèves de regagner la salle de classe séance tenante. Quant à Nathanaël il lui donna son sac et l’envoya en permanence en lui donnant un sujet de dissertation à lui rendre sous forme de plan détaillé à la fin de l’heure.
    D’ordinaire cet incident serait resté sans conséquences dès lors qu’un arrangement à l’amiable aurait été conclu entre les protagonistes mais Louise veilla à ce qu’il en fût autrement. Sa judicieuse initiative fut d’enterrer la hache de guerre en conviant les principaux intéressés, à savoir elle même, Nathanaël, Geoffroy et Charles, à parlementer autour d’un thé à dix sept heures le lendemain.


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